Aragon dans la Pléiade. L'éditeur édité
Huit volumes, pas moins. Aux cinq tomes des Œuvres romanesques complètes (1997-2012) et aux deux des Œuvres poétiques complètes (2007) vient de s’ajouter un fort volume d’Essais littéraires. Les titres des trois éditions sont traditionnels ; les genres, apparemment bien définis. Tout semble en ordre. Ces éditions sont supposées rendre justice à une œuvre extrêmement diverse, que l’on ne peut guère comparer, sous cet angle, qu’à celle de Victor Hugo : voilà qui n’aurait pas déplu à Aragon. Mais si l’on creuse un peu, les choses se compliquent, et chacun peut alors se rendre compte que le principe même de ces trois éditions séparées n’allait pas de soi. La Lettre de la Pléiade avait évoqué, dans son numéro 43 (2011), les « éditions de l’auteur ». Le cas Aragon offre à ce sujet un intéressant complément d’information.
Parution le 15 Mai 2025
1248 pages, Prix de lancement 62.00 € jusqu'au 31 10 2025
Les œuvres posthumes, déjà évoquées ici1, sont souvent inachevées. Milan Kundera pense même qu’elles le sont toujours, par définition. Il dit en effet, dans Les Testaments trahis, qu’aucun inédit ne peut être tenu pour achevé, puisque c’est seulement quand il a la perspective de publier un texte que l’auteur y met « la dernière touche ». La publication serait donc à la fois la cause et la condition de l’achèvement de l’œuvre. Troublante idée, si l’on songe à Segalen, dont l’œuvre est majoritairement posthume et qui est un virtuose de l’inachèvement.
La clausule de Psychologie du cinéma d’André Malraux — « Par ailleurs, le cinéma est une industrie » — s’applique bien à l’édition littéraire, qui est aussi un commerce. Vient un moment où, le savoir-faire éditorial ayant (plus ou moins) produit ses effets, entrent en piste ceux dont le travail est de faire savoir.
Il y a les usages, les habitudes, les certitudes. Un jour, à force de recherches, et de découvertes petites ou grandes, on s’avise que tout est à repenser. Mais comment faire ? et jusqu’où aller au service d’une œuvre ? Toute nouvelle édition soulève des questions de principe et de méthode. Celle, particulièrement nouvelle, des œuvres romanesques de Bernanos ne fait pas exception.
Il y a tant de livres à lire, pourquoi s’intéresser à ceux que leur auteur n’a pas lui-même donnés au public ? Mille bonnes raisons à cela, et celle-ci, qui vaut ce qu’elle vaut : ce qui est caché excite la curiosité. Par ailleurs, la question a un envers : qu’arriverait-il si nous n’avions d’yeux que pour les œuvres publiées du vivant de leur auteur ? C’est simple, le paysage littéraire en serait bouleversé. Le grand livre de Casanova serait l’Icosameron, il faudrait s’accommoder d’un Kafka sans Château ni Procès et d’un Chateaubriand sans Mémoires d’outre-tombe, ce qui reviendrait, on peut le craindre, à donner raison à Flaubert : « Chateaubriand : Connu surtout pour le beefsteak qui porte son nom. »
Le site internet de la Pléiade permet différents types de recherche dans le catalogue. Certains sont classiques (« Par auteur »). D’autres provoquent des voisinages surprenants («Par nationalité d’auteur») ou semblent faits pour susciter le débat (« Par genre »). On s’intéressera ici à une rubrique a priori peu discutable, celle des «Pléiade bilingues».
Ils ne sont pas faits pour être lus, mais plutôt consultés. Certains amateurs s’en délectent pourtant et ne conçoivent pas de meilleur moyen d’entrer dans une œuvre. Il reste que, pour la plupart des lecteurs, les index sont de simples outils. On s’en sert plus qu’on n’en parle. Mais justement, parlons-en.