La Pléaide

1983

Quand Enfance paraît, en avril, chez Gallimard, Nathalie Sarraute a près de quatre-vingt-trois ans, mais ses forces ne déclinent pas du tout. Au reste, le livre (dont la couverture ne porte aucune indication de genre) n'est pas une autobiographie classique. « Je n'aime pas les autobiographies », confie l'écrivain à Roger Vrigny le 23 juin, « ou plutôt je ne les aime pas en tant que genre littéraire. » Et dans Le Magazine littéraire du même mois : « Il ne s'agit pas d'une autobiographie. […] J'ai sélectionné, comme pour tous mes autres livres, des instants dont je pourrais retrouver la sensation. »

« — Alors, tu vas vraiment faire ça ? “Évoquer tes souvenirs d'enfance”… Comme ces mots te gênent, tu ne les aimes pas. Mais reconnais que ce sont les seuls mots qui conviennent. Tu veux “évoquer tes souvenirs”… il n'y a pas à tortiller, c'est bien ça.

« — Oui, je n'y peux rien, ça me tente, je ne sais pas pourquoi…

« — C'est peut-être… est-ce que ce ne serait pas… on ne s'en rend parfois pas compte… c'est peut-être que tes forces déclinent… »

Quand Enfance paraît, en avril, chez Gallimard, Nathalie Sarraute a près de quatre-vingt-trois ans, mais ses forces ne déclinent pas du tout. Au reste, le livre (dont la couverture ne porte aucune indication de genre) n'est pas une autobiographie classique. « Je n'aime pas les autobiographies », confie l'écrivain à Roger Vrigny le 23 juin, « ou plutôt je ne les aime pas en tant que genre littéraire. » Et dans Le Magazine littéraire du même mois : « Il ne s'agit pas d'une autobiographie. […] J'ai sélectionné, comme pour tous mes autres livres, des instants dont je pourrais retrouver la sensation. »

Des instants, ou des mots. Sartre ou Leiris avaient déjà fait de leur vie une histoire de mots, mais Nathalie Sarraute ne suit pas la même règle du jeu. Les paroles auxquelles elle redonne voix, et qu'elle appelle des « paquets » — « Elle est plus belle que maman », « Véra est bête », « Ce n'est pas ta maison » —, sont des colis piégés qui doivent à leur violence de demeurer présents à la mémoire. Dans Enfance comme dans les autres livres de Nathalie Sarraute, les mots ne sont pas des outils, mais des expériences de vie.

En août, Enfance est placé en tête du choix de livres du Nouvel Observateur. De la NRF à Votre beauté, il pleut des comptes rendus, qui insistent plus souvent sur la séduction du texte que sur sa subtilité. On le sent bien, quelque chose change dans la réception de Nathalie Sarraute, que l'on voudrait détacher de ce bloc (qui ne fait bloc que vu de l'extérieur) nommé « nouveau roman ». Cela donne parfois des résultats… inattendus : « Beaucoup moins “labo” qu'un Robbe-Grillet, beaucoup moins “mécano” : tout est dans le frou-frou, chez Sarraute, et pas dans l'artillerie. […] Sarraute, écrivain sophistiqué ? Allons donc ! La fragilité même, le charme. Natacha, on t'aime ! » (André Clavel, Les Nouvelles littéraires, 19-25 mai).

Sans nier l'originalité d'Enfance, les chroniqueurs les plus fins n'oublient pas que ce nouveau livre fait partie d'une œuvre. Dans Esprit, en novembre, Jacqueline Lévi-Valensi dit l'essentiel en quelques lignes :

« Enfance est une nouvelle étape — et non la moindre — dans la quête de l'être authentique que, depuis Tropismes, Nathalie Sarraute poursuit avec une admirable rigueur, engageant ainsi la littérature dans une de ses aventures les plus audacieuses : la reconnaissance de cet au-delà et de cet en-deçà du langage, que seul, cependant, le langage peut “faire surgir”. »

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