La Pléaide

L'actualité de la Pléiade

1945

La brigade Alsace-Lorraine, où sert le colonel Berger, c'est-à-dire André Malraux, résiste du 3 au 9 janvier à la poussée allemande au sud de Strasbourg. En février, Malraux participe à la bataille de Colmar et à la reprise de la colline de Sainte-Odile. La brigade entre en avril dans Stuttgart, où l'écrivain et ses compagnons seront décorés par le général de Lattre. Le 8 mai, Malraux assiste à la messe de Te Deum chantée dans la cathédrale de Strasbourg à l'occasion de la capitulation allemande.

En juin, le film Sierra de Teruel, rebaptisé Espoir, est présenté en séance publique au cinéma Max Linder, à Paris. Il est précédé d'un prologue dit par un Maurice Schumann en uniforme. Le thème, le dialogue et la mise en scène du film sont de Malraux, assisté de Denis Marion pour le scénario, de Boris Peskine et Max Aub pour le découpage. La musique est de Darius Milhaud. En fond sonore de l'ouverture, des tirs de mitrailleuse. Le premier carton apparaît à l'écran : « Pendant la guerre civile d'Espagne, en 1937, un appareil républicain regagne après un combat le terrain d'aviation où des volontaires de tous les pays se sont réunis pour lutter contre le fascisme. »

Tout a commencé en 1937. Le Congrès américain vote la loi d'embargo sur les armes à destination de l'Espagne. À partir d'avril, Malraux écrit son roman, L'Espoir, qui paraîtra chez Gallimard le 18 décembre. On lui fait valoir qu'un film sur le même sujet mobiliserait l'opinion et permettrait de recueillir des fonds.

Malraux s'est probablement mis au travail dès janvier 1938. Le film sera centré sur un épisode du livre : une mission de bombardement, la chute de l'avion dans la montagne, et la scène splendide du cortège des morts et des blessés. En avril-mai, rencontrant Max Aub, il lui déclare : « Voilà le synopsis. On termine le script à Paris. […] Traduis ça. Tu traduiras le script. Organise le nécessaire et mets-toi en chasse. Les techniciens viendront après. » Les premières esquisses du scénario sont surtout des dialogues récrits d'après le roman ; ils s'achèvent parfois sur des formules comme « voir le bouquin » ou « le reste dicté d'après L'Espoir »…

Le tournage aurait dû commencer en juillet 1938, mais les difficultés s'accumulent. Tout se fait dans une permanente improvisation. Il faut renoncer à certaines scènes. Malraux est au Ritz de Barcelone. Il dicte des scènes de remplacement à une secrétaire, qu'une auto conduit ensuite au Majestic, où Max Aub lui dicte à son tour la traduction espagnole, qui est utilisée dès le lendemain. On tourne finalement d'août 1938 à janvier 1939, en Catalogne.

De février à juin 1939, le film doit être complété dans les studios de Joinville, à Villefranche-de-Rouergue, et avec des extraits d'actualités. C'est à la fin de juillet qu'ont lieu les premières représentations privées, au cinéma Le Paris, sur les Champs-Élysées. En septembre — c'est la guerre —, l'exploitation du film est interdite par le gouvernement Daladier, conseillé par le nouvel ambassadeur de France à Madrid, le maréchal Pétain.

Le public attendra donc juin 1945 pour voir Sierra de Teruel. En décembre, le film reçoit le prix Louis-Delluc, mais les invités aux séances de 1939 n'avaient pas attendu pour dire leur enthousiasme. Parmi eux, un secrétaire de rédaction de Paris-Soir, Albert Camus, qui affirme avoir lu L'Espoir à huit reprises. Aragon crie au chef-d'œuvre. Cocteau, qui n'aime pas les livres de Malraux, est ébloui par son film : « C'est le triomphe de l'auteur-metteur en scène. L'idée directement écrite pour les yeux, sur l'écran. » L'auteur de La Belle et la Bête (1945) sait, naturellement, de quoi il parle.