La Pléaide

Nouvelle édition de La Recherche du temps perdu dans la Pléiade (tome I)
L'histoire de la Pléiade

Le Proust de la Pléiade. Par Gaston Gallimard

La lettre de la Pléiade n° 6
août-décembre 2000

C'est Gaston Gallimard lui-même qui, en 1954, dans ce texte inédit manuscrit, annonce l'entrée d'À la recherche du temps perdu dans la Bibliothèque de la Pléiade, trois volumes donnant la première édition critique de l'œuvre de Marcel Proust.

C'est l'occasion, pour lui qui fut un correspondant attentif de Proust, de revenir sur des questions de méthode et de métier, qui engagent à elles seules la relation même de l'éditeur à son auteur.Rappelons toutefois que l'édition de Pierre Clarac et André Ferré, préfacée par André Maurois, sera à son tour remplacée en 1987, toujours dans la Bibliothèque de la Pléiade, par les quatre volumes publiés sous la direction de Jean-Yves Tadié ; l'étude des manuscrits a fait des progrès considérables et de nouveaux documents sont apparus, qui renouvellent notre lecture du chef-d'oeuvre de Marcel Proust.

« Les Éditions originales d'À la recherche du temps perdu, et les éditions suivantes étaient fautives. Une première révision du texte a été faite lorsque fut préparée l'édition de "La Gerbe" en dix volumes. Jacques Rivière, Ramon Fernandez, Benjamin Crémieux y ont collaboré.

Cependant une révision méthodique s'imposait, d'après les manuscrits. Le soin en a été confié par les héritiers de Marcel Proust à MM. Pierre Clarac et André Ferré qui publient aujourd'hui dans la Bibliothèque de la Pléiade un texte définitif, accompagné de notes critiques.

De son vivant, Marcel Proust ne corrigeait pas ses épreuves. Quand il les recevait, loin de revoir son texte, il ne songeait qu'à l'enrichir d'additions nouvelles. Les "ajoutages" couvraient les marges des épreuves, puis débordaient sur des pages blanches qui, collées aux placards, et les unes aux autres, formaient de longues bandes, les "paperoles" de Françoise. L'imprimeur et les correcteurs avaient bien de la peine à déchiffrer ces renvois compliqués : les fautes passaient fatalement d'épreuves sur épreuves, souvent augmentées de fautes nouvelles. Et l'éditeur, pressé par Marcel Proust, était contraint de donner le bon à tirer, sans qu'une épreuve claire et correcte ait pu être établie. Il a donc fallu rassembler ces épreuves successives dont la plupart, en ce qui concerne À l'ombre des jeunes filles en fleurs, avaient été insérées dans les différents exemplaires d'une édition de luxe imprimée sur papier bible, selon le désir de Marcel Proust, et les confronter minutieusement avec tous les manuscrits accessibles. Ainsi ont été retrouvés de longs développements inédits particulièrement dans Guermantes I. Pour la partie posthume, le moment est donc venu de reproduire fidèlement le manuscrit laissé par l'auteur. Le texte de la Pléiade est d'une lecture plus aisée et plus satisfaisante que celui des premières éditions. Toutes les corrections que l'édition actuelle apporte au texte des éditions parues du vivant de Marcel Proust et, pour la partie posthume, au texte du manuscrit, sont signalées dans les notes critiques. Le lecteur sera ainsi en mesure de substituer aux solutions adoptées par MM. Clarac et Ferré celles qui pourraient lui paraître préférables.

De nombreux développements de premier jet sacrifiés par Marcel Proust ont été reproduits dans les notes, soit en raison de leur intérêt propre, soit parce qu'ils éclairent les intentions du texte définitif. Il y a là tout un "Proust inédit" dont les lecteurs de la Pléiade ont la primeur. »

« Puisque vous avez eu la bonté de trouver dans mes livres quelque chose d'un peu riche qui vous plaît, dites-vous que cela est dû précisément à cette surnourriture que je leur réinfuse en vivant, ce qui matériellement se traduit par ces ajoutages. »
Marcel Proust à Gaston Gallimard, 18 ou 19 mai 1919. ( In Gaston Gallimard, Marcel Proust, Correspondance (1912-1922), Gallimard, 1989.)