Parution le 10 Avril 2025
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« Ah ! murmura Pierre, cette nuit bleue, cet infini d’ombre qui emporte la laideur des gens et des choses, cette paix immense et fraîche, où je voudrais endormir mon doute... »
Sa voix s’éteignait. Marie, à son tour, dit très bas :
«Et les roses, ce parfum des roses... Ne les sentez-vous pas, mon ami ? Où sont-elles donc, que vous ne les avez pas vues ?
— Oui, oui, je les sens, mais il n’y a pas de roses. Je les aurais vues certainement, car je les ai bien cherchées.
— Comment pouvez-vous dire qu’il n’y a pas de roses, quand elles embaument l’air autour de nous, et que nous baignons dans leur parfum ? Tenez ! à certaines minutes, ce parfum est si puissant, que je me sens défaillir de joie, à le respirer !... Elles sont là, certainement, innombrables, sous nos pieds. [...]
«Comme elles sentent bon, Pierre ! Il me semble que nos deux mains unies sont là ainsi qu’un bouquet.
— Oui, elles sentent adorablement bon ; et c’est de vous, Marie, que l’odeur monte à présent, comme si les roses fleurissaient de vos cheveux. »
Et ils ne parlèrent plus. La procession défilait toujours, des étincelles vives apparaissaient toujours au tournant de la Basilique, jaillissant de l’obscurité, comme d’une source inépuisable. L’immense coulée des petites flammes en marche, dans son double circuit, rayait l’ombre d’un ruban de braise. Mais, surtout, le spectacle était sur la place du Rosaire, où la tête de la procession, continuant son évolution lente, se repliait sur elle-même, en un cercle de plus en plus étroit, une sorte de tournoiement obstiné, qui achevait d’étourdir les pèlerins, brisés de fatigue, et d’exaspérer leurs chants. Bientôt, la ronde ne fut plus qu’une masse brûlante, un noyau de nébuleuse, autour duquel venait s’enrouler le ruban de braise, dont le bout semblait ne devoir jamais finir ; et le noyau s’élargissait, il y eut une mare, puis un lac. Toute la vaste place du Rosaire se changeait en une mer incendiée roulant ses petits flots étincelants, dans le vertige de ce tourbillon sans fin. Un reflet d’aurore blanchissait la Basilique. Le reste de l’horizon tombait à une obscurité profonde. On ne voyait, à l’écart, que quelques cierges perdus cheminer seuls, ainsi que des lucioles cherchant leur route, à l’aide de leur petite lanterne. Sur le mont du Calvaire, pourtant, une queue vagabonde de la procession devait être montée, car des étoiles voyageaient aussi là-haut, en plein ciel. Enfin, un moment arriva où les derniers cierges parurent, firent le tour des pelouses, coulèrent et se noyèrent dans la mer de flammes. Trente mille cierges y brûlaient, tournant toujours, attisant leur braisillement, sous le grand ciel calme, où pâlissaient les astres. Une nuée lumineuse s’envolait avec le cantique, dont l’obsession n’avait pas cessé. Et le grondement des voix, les « Ave, ave, ave, Maria ! » étaient comme le crépitement même de ces cœurs de feu, qui se consumaient en prières, pour guérir les corps et sauver les âmes.
Un à un, les cierges venaient de s’éteindre, la nuit retombait souveraine, très noire et très douce, lorsque Pierre et Marie s’aperçurent qu’ils étaient encore là, cachés sous le mystère des arbres, la main dans la main. Au loin, par les rues obscures de Lourdes, il n’y avait plus que des pèlerins égarés, demandant la route, pour retrouver leur lit. Des frôlements traversaient l’ombre, tout ce qui rôde et s’endort, à la fin des jours de fête. Et eux s’oubliaient, ne bougeaient toujours pas, délicieusement heureux, dans l’odeur des roses invisibles.