La Pléaide

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Ibn Khaldun
L'actualité de la Pléiade

La huitième croisade et la mort de Saint Louis dans l’«Histoire des Berbères»

27 septembre 2012

Extrait de Le Livre des Exemples, II : Histoire des Arabes et des Berbères du Maghreb.

Les musulmans, sur toutes les frontières, furent saisis par l’inquiétude. Le sultan donna l’ordre à toutes les provinces, ainsi qu’aux villes frontières, de préparer la plus grande quantité possible d’équipements militaires, de réparer les murs de fortifi cation des villes et de faire des réserves de grains. Les marchands chrétiens cessèrent de fréquenter les pays musulmans. Ensuite le sultan envoya des ambassadeurs auprès du roi des Français [Louis IX] pour connaître ses intentions et lui proposer des conditions qui pussent mettre fi n à son ardeur guerrière. On prétend qu’ils emportèrent avec eux 80.000 pièces d’or dans ce but. Le roi accepta l’argent, mais leur fit savoir qu’il maintenait son expédition. Quand ils demandèrent que leur argent leur fût rendu, il prétexta qu’il ne lui avait pas été remis directement. Pendant qu’ils traitaient avec le roi, on apprit l’arrivée d’un ambassadeur envoyé par le souverain d’Égypte. Quand on l’introduisit auprès du roi des Français, il fut invité à s’asseoir, mais il refusa et, debout, il récita les vers suivants d’Ibn Matrûh, poète du sultan d’Égypte : Que Dieu te rétribue pour la mort de tant de chrétiens, adeptes du Christ! / Tu vins en Égypte, convoitant de t’en emparer, et tu croyais, ô tambour, que nos trompettes ne sont que du vent. / Le destin t’a mené vers un grand malheur […]

La récitation de ce poème ne fit qu’accroître l’insolence et l’orgueil du roi : il justifia la rupture du traité et l’attaque de Tunis en prétendant que les musulmans, d’après les rapports qu’il avait reçus, avaient violé leurs engagements, et il renvoya les ambassadeurs des diverses nations le jour même. […]

La guerre se poursuivit pendant une longue période. […] À Tunis, les musulmans, soumis à rude épreuve, pensèrent au pire, et le sultan fut sur le point de quitter la ville pour Kairouan. Puis Dieu fit périr leur ennemi : un beau matin, on apprit que le roi des Francs avait perdu la vie. Les uns disent que ce fut de mort naturelle ; les autres qu’il avait été atteint par une flèche perdue ; d’autres prétendent encore qu’il fut emporté par une maladie épidémique. Enfi n, l’on raconte — mais cela est fort improbable — que le sultan lui envoya par l’intermédiaire de Sulaymân Ibn Jarâm al-Dilâjî une épée empoisonnée qui causa sa mort.

Les chrétiens reconnurent alors son fi ls, qu’on surnommait Damiette, parce qu’il était né dans cette ville. Après lui avoir prêté serment de fidélité, ils s’apprêtèrent à lever le camp et à repartir. Comme l’autorité était exercée par la reine, elle envoya une lettre à al-Mustansir où elle lui faisait la proposition de s’éloigner avec ses troupes si le sultan lui versait les frais occasionnés par l’expédition. Celui-ci y consentit.

Traduction d’Abdesselam Cheddadi

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