La Pléaide

1984

Dès les années 1950, Francis Ponge conçoit l'idée d'un recueil auquel il associe le terme de « Pratiques ». En octobre 1951, il songe à rassembler dans son « prochain livre » ses « Pratiques » ou « Trames ». Un mois plus tard, il précise : « Bien entendu, le titre donné à ce recueil n'annonce pas un chef-d'œuvre : plutôt le contraire. Et certes, j'aurais aimé être capable d'un chef-d'œuvre […]. Mais enfin nous n'en manquons pas. Nos bibliothèques en regorgent, nous ne savons plus où ranger les anciens pour faire place aux nouveaux. Cela est exaltant, un peu encombrant, mais exaltant. Voici un livre dont le propos est le plus ambitieux du monde : il doit être capable, à lui seul (lui, qui n'est pas un chef-d'œuvre), de faire tomber cette exaltation. » En 1952, le titre réapparaît dans un manuscrit : « Théorie et Pratique de l'Objeu (Dix ans de Pratiques) ». En 1956, il sert d'intitulé à une conférence : « La Pratique de la littérature ».

Ces documents sont probablement des jalons sur la route du Grand recueil. Ils n'en constituent pas moins une recherche sur les notions de genre et d'œuvre, recherche poursuivie jusqu'à Pratiques d'écriture, qui paraît une trentaine d'années plus tard, en 1984.

Le 17 mars de cette année-là, l'éditeur Pierre Bérès rend visite à Ponge. Il lui demande un texte de cinquante à soixante pages sur sa « méthode, à faire illustrer par un jeune peintre, Rouan ». Selon l'agenda de Ponge, une nouvelle rencontre a lieu le 3 avril : « Venu tard, m'a fait signer mon approbation sur son ordre des textes, nouveau sous-titre, venue Rouan. » Le 5, Ponge remet à P. Bérès quatre-vingt-un feuillets. Un contrat est signé le 16 ; le livre s'intitulera Pratiques d'écriture ou l'Inachèvement perpétuel.

Du 20 juin au 3 août, l'écrivain travaille à la remise en ordre et à la datation de ses textes, et il révise la dactylographie établie par l'éditeur. Le 23 août, il expédie à P. Bérès une « Note pour l'éditeur ». La lecture des épreuves commence le 13 septembre. Le dernier jeu, portant le bon à tirer de l'auteur, est posté le 14 octobre, soit une dizaine de jours seulement avant la sortie du livre, qui paraît avec seize dessins de François Rouan, chez Hermann, la maison d'édition de Pierre Bérès, dans la collection « L'Esprit et la Main ».

« Ces esquisses, ébauches ou brouillons sont d'époques diverses, plus ou moins lointaines et traitent de problèmes, quant à moi, depuis toujours et à jamais obsessionnels », lit-on dans la « Note pour l'éditeur ». Le recueil contient en effet une quarantaine d'écrits datés de 1920 à 1930, et dix textes rédigés entre 1951 et 1954. Entre ces deux pôles, presque un hiatus de vingt ans : seuls deux textes portent les dates de 1930 et 1938.

Le nombre des écrits de jeunesse peut étonner. Ponge a-t-il trouvé là l'occasion de révéler enfin des textes que son jeune âge lui avait interdit de publier, comme par exemple les « portraits-charges » d'écrivains majeurs de l'époque, Gide, Aragon, Fargue ou Breton ? Là n'est pas l'essentiel : avec Pratiques d'écriture, c'est la forme traditionnelle du recueil qui est remise en question. Plus de classification rigide, mais une structure souple : « J'ai voulu (par le procédé qui consiste à bondir/sauter incessamment d'un idéal à l'autre […]) pouvoir n'être considéré que comme un expérimentateur (conscient). » Panoplie des « pratiques » conservées dans les archives, le livre est comme l'ébauche d'une autobiographie intellectuelle.

Sa facture singulière a-t-elle dérouté ? Mis à part un bref entretien paru dans Le Nouvel Observateur, la critique n'en dit pas un mot.

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