La Pléaide

1975

On expose cette année peintures et dessins d'Henri Michaux à New York, Tours, Lausanne, Stockholm, Berne et Montréal. Trois minces volumes sont publiés : Coups d'arrêt en octobre, Face à ce qui se dérobe en décembre, tous deux précédés, en juin, par Idéogrammes en Chine, qui paraît chez Fata Morgana.

Idéogrammes en Chine est achevé d'imprimer le 14 juin, à Montpellier. C'est un volume de 48 pages, tiré à 1.200 exemplaires, dont 40 sur Japon nacré. Sur les pages de droite court le texte de Michaux, qui avait servi de préface en 1971 à un livre de Tchang Long-Yen, La Calligraphie chinoise. Sur les pages de gauche, les notes de l'auteur et dix reproductions d'idéogrammes, lesquels sont imprimés en rouge. Michaux a révisé son texte et s'est montré soucieux du moindre détail : l'aspect graphique de ce livre lui importait beaucoup.

Le 1er avril, en renvoyant des épreuves corrigées, il demande à son éditeur, Bruno Roy, un interlignage supplémentaire et juge que les notes ont été minimisées. Le lendemain, nouvelle lettre, au sujet des idéogrammes cette fois. Michaux veut laisser de côté certains caractères « trop beaux, trop statiques » ; il souhaite pour la première page « une ou deux surfaces brouillées, confuses », et répond par anticipation aux objections éventuelles de l'éditeur : « Vous vous étonnez probablement de me voir écarter de beaux caractères pour de moins beaux […]. C'est que la beauté n'a pas été mon sujet, encore moins le repos ou la grandeur de ce qui est paisible. / Ce qui exprimera le plus vivement la multiforme poussée inventive chinoise sera ici la meilleure compagnie. »

Autre sujet d'étonnement : le choix de la couleur rouge pour les calligraphies, qui proviennent d'un livre précieux de 1938 — Chinese Calligraphy de Chiang Yee — et d'un ouvrage du jésuite Léon Wieger, Caractères chinois : étymologies, graphies, lexique. En Chine, le rouge est traditionnellement réservé aux sceaux, qui ne sont pas des signatures, mais des marques d'authentification. Les calligraphies, quant à elles, sont toujours réalisées en noir sur fond blanc ou en blanc sur fond noir.

Mais il n'y a ici ni erreur ni hasard ; Michaux a beau adopter la posture de l'innocent (il feint de voir dans les idéogrammes des « traits dans toutes les directions »), il n'ignore rien des usages. En choisissant pour les calligraphies le rouge des sceaux, il authentifie en quelque sorte l'œuvre qui les accompagne : son propre commentaire qui, malgré ce qu'il comporte d'érudition, tend constamment au poème. Il propose, ce faisant, une nouvelle relation entre poésie, graphe, image et texte imprimé.

On sait l'importance que revêt pour l'auteur d'Émergences-résurgences la question de sa double réalité d'écrivain et de peintre. La nature double de la calligraphie, entre image et mot, entre écriture et peinture, est évidemment primordiale pour lui. Sa vie, son œuvre ont été traversées par le rêve d'une langue universelle idéographique, une « sorte d'alphabet », inventé par lui, et « qui eût pu servir dans l'autre monde, dans n'importe quel monde » (Peintures et dessins, 1946). Dans Plume, en 1938, il annonce comme « en préparation » des « Rudiments d'une langue universelle idéographique contenant neuf cents idéogrammes et une grammaire ». On chercherait en vain ces « Rudiments » dans les librairies. Mais on mesure l'importance d'Idéogrammes en Chine : confirmation du glissement de Michaux vers la forme poétique, ce petit livre propose, dans le vieux débat entre l'écrivain qui peint et le peintre qui écrit, comme un entre-deux : non plus écriture et peinture, mais écriture-peinture.

Auteur(s) associé(s)