La Pléaide

1963

Sa santé est mauvaise, mais ce n'est pas nouveau, et Jean Cocteau ne se ménage pas outre mesure. L'année précédente, on a pu le voir à Munich, où il présente L'Aigle à deux têtes, à Auron, à Menton, à Fréjus, où il assiste à une corrida en compagnie de Picasso, à Metz, à Bruxelles, où il intervient au nom de l'Académie française lors du centenaire de Maeterlinck, à Vevey, où il enregistre avec Igor Markevitch l'Histoire du soldat de Ramuz et Stravinski…

Son dernier grand poème a été publié chez Gallimard à la fin de mai 1962 : c'est Le Requiem. Quand, bien plus tard, on en examinera le manuscrit, on constatera que l'écrivain avait hésité entre plusieurs titres : Le Livre des adieux, Livre de ma nuit, Livre de mes nombreuses morts… La mort, il est vrai, est pour lui une vieille compagne, et après tout ces nombreuses morts peuvent laisser espérer d'aussi nombreuses vies.

En ce début de 1963, Cocteau est à Paris et à Milly, où il reçoit la visite d'Arno Breker, qui sculpte son buste et celui de Jean Marais. En avril, à Milly toujours, mais après des escapades à Auron et à Santo Sospir, il enregistre pour la télévision une émission avec Roger Stéphane et Roland Darbois. Comme en écho au livre de 1935, elle s'intitulera Portrait souvenir.

Peu après, le 22 avril, une crise cardiaque — ce n'est pas la première — entraîne son hospitalisation. Il passe sa convalescence à Marnes-la-Coquette, chez Jean Marais, et doit renoncer à assister à la représentation de L'Impromptu du Palais-Royal à la Comédie-Française et à celle de Pelléas et Mélisande, dans les décors et les costumes qu'il a créés, à l'Opéra-Comique.

Le 5 juillet, il revient à Milly. Pourquoi renoncerait-il à faire des projets ? Il songe à partir pour Fréjus et à y faire bâtir une maison. En septembre, il reçoit une dernière fois Marcel et Élise Jouhandeau, qui sont probablement ses plus vieux amis vivants.

Le 11 octobre, dans la matinée, on lui apprend la mort d'Édith Piaf, pour qui il avait écrit Le Bel Indifférent. « C'est ma dernière journée sur terre », dit-il à sa cuisinière. Il meurt une heure plus tard.

Dans un poème de l'année précédente, il avait évoqué « la mort patiente / Embaumeuse qui fait les visages si beaux ». Il avait manifesté trois jours avant sa disparition le désir d'être embaumé ; le 12 octobre, sa volonté est accomplie. On le photographie revêtu de son habit vert d'académicien français — en immortel. Les visiteurs se succèdent. Parmi eux, Jean Genet.

Cocteau est inhumé le 16 octobre à Milly. Dans le cortège, Marlène Dietrich, René Clair, Coco Chanel, Zizi Jeanmaire, Roland Petit, Serge Lifar… En tout cinq mille personnes. Hommages, discours, André Chamson parle au nom de l'Académie française, Gaëtan Picon pour le ministère des Affaires culturelles…

La pierre tombale porte ces mots, signés d'une étoile : je reste avec vous. Manière, sans doute, pour Cocteau, de réaffirmer ce qu'il avait écrit quelques années plus tôt dans un poème intitulé La mort est un point à la ligne : « Quand le poète est mort l'œuvre se met à vivre. »