La Pléaide

1935

Le 10 août, Jean Giraudoux signe un contrat avec Grasset pour la publication d'Hélène, une œuvre au sujet de laquelle Louis Jouvet l'interrogeait quelques mois plus tôt : « Et votre pièce, elle avance ? — Quelle pièce ? — Votre pièce sur l'Iliade. — Ah ! oui. J'ai déjà trouvé la première réplique. C'est Cassandre qui dit à Andromaque : “La guerre de Troie n'aura pas lieu.”»

Au début de l'été, Giraudoux a remis à Jouvet une première version de son texte ; les 13 et 14 septembre, il en lit une deuxième mouture devant les comédiens. Les répétitions commencent le lendemain. Le 21 novembre, c'est la générale. Le 22, le théâtre de l'Athénée ouvre ses portes au public. La guerre de Troie n'aura pas lieu, avec le Supplément au voyage de Cook en complément de programme, est créée avec Madeleine Ozeray dans le rôle d'Hélène ; Falconetti est Andromaque, Pierre Renoir Ulysse ; le rôle d'Hector, pour lequel on a essayé successivement des comiques et des tragédiens, est tenu par Jouvet lui-même, qui, en faisant applaudir longuement le discours aux morts de l'acte II, va voir sa carrière changer de face, gagner en noblesse.

Colette est là, admirative : « Le discours aux morts de la guerre, dit par Jouvet sans inflexion, à voix contenue, pourrait bien devenir, d'ici peu de jours, une “prière sur l'Acropole” à la mesure de notre temps et de son inquiétude. » Inquiétude, en effet. Les Italiens sont en Abyssinie ; au début de l'année, la Sarre a été rattachée au IIIe Reich, où le service militaire est rétabli en violation du traité de Versailles. La critique, généralement favorable, ne manque pas de souligner l'actualité de la pièce.

Actualité menaçante, et souvenir des morts de la Grande Guerre. La guerre de Troie est l'œuvre d'un normalien imprégné de littérature classique (Elpénor, qui date de 1919, est prolongé en 1926), mais non moins celle d'un ancien combattant. Vingt ans avant d'écrire sa pièce, Giraudoux est aux Dardanelles; la vue est merveilleuse — « à gauche, Troie », note-t-il dans son carnet ; « Le temps s'est levé. La bataille aussi. Ouragan de balles autour de nous. Petit zouave tué devant. » Les morts auxquels s'adresse Hector dans son discours, « vous absents, vous inexistants, vous oubliés, vous sans occupation, sans repos, sans être », sont aussi ceux des Dardanelles et de Verdun. Giraudoux a eu besoin de sept manuscrits pour mettre au point le discours aux morts. Il place finalement deux versions bout à bout : dans la première il plaint les disparus; dans la seconde, il dénonce «la recette la plus sordide et la plus hypocrite pour égaliser les humains » : la guerre.

Le Flambeau du 7 décembre, La Voix du combattant du 15 félicitent leur « camarade » d'avoir montré que les anciens combattants sont des soutiens de la paix, tandis que Claudel, dans son Journal, trouve « répugnante » cette « apologie de la lâcheté et de la paix à tout prix ». Mais Giraudoux est-il pacifiste ? « Un pacifiste est un homme toujours prêt à faire la guerre pour l'empêcher », dit-il à Benjamin Crémieux (Je suis partout, 7 décembre). « La guerre n'aura pas lieu, Andromaque », déclare Hector à la dernière scène, après avoir tué son compatriote, le belliciste Demokos. Le rideau commence à tomber, puis se relève peu à peu ; le Grec Oiax est tué à son tour. Hector corrige : « Elle aura lieu. » « Les portes de la guerre s'ouvrent lentement », annonce la dernière didascalie.

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