La Pléaide

1911

16 mars 1910: «J’ai fini L’Otage», écrit Claudel à Gide, avec qui il correspond depuis une dizaine d’années. «Quels sont vos projets au sujet de votre drame? répond Gide. Puis-je espérer que vous voudrez bien le confier à La NRF?» Il s’agit naturellement de la revue, qui est alors dans sa deuxième année.

Bientôt, Claudel accepte que Gide fasse dactylographier la pièce (et qu’il en conserve le manuscrit); il lui demande aussi son avis. Peut-être est-il inquiet; ses convictions religieuses le rendent «suspect au ministère», et il n’est pas impossible que sa noble héroïne indispose le Quai d’Orsay, dont dépend sa carrière de diplomate. «Ce n’est qu’après avoir lu L’Otage que je pourrai vous reparler de publication et examiner avec vous et Jean Schlumberger le parti préférable», répond Gide, prudent.

Le 6 août, il s’est fait une opinion, qu’il livre à Schlumberger: «C’est très important», et à Claudel lui-même: «L’urgence de votre drame a dépassé toute mon attente.» Il préconise alors une publication en plusieurs livraisons, dans la revue. Et, en effet, L’Otage paraît dans La NRF en décembre 1910, janvier et février 1911.

Reste la question de l’édition en volume. Le 31 janvier 1911, à la veille de la dernière livraison dans la revue, Claudel annonce à Gide qu’il est prêt à «causer de la chose avec votre maison d’édition». Mais quelle maison d’édition? Aucune lettre de Gide ne parle de maison d’édition, et La NRF n’a jamais publié de livre. Certes, un éditeur s’intéresse à L’Otage, mais Gide n’y est pour rien: c’est Plon-Nourrit qui a fait «des propositions alléchantes» à Claudel, lequel, d’ailleurs, ne s’en cache pas. Le 18 février, il confie à Gide la lettre qu’il a reçue de Plon, non sans ajouter: «votre maison d’édition aura la préférence; mais je serais heureux si vous pouviez me donner quelques précisions sur la date de publication»…

Il serait bon, semble-t-il, de ne pas perdre de temps. On apprend par une lettre de Gide à Schlumberger datée du surlendemain que ce dernier a dû ou aurait dû écrire à Claudel «pour nouer solidement ce projet d’édition». L’intéressé n’a rien reçu, et pour cause, mais Gide est-il censé le savoir? il estime que non. Le 22 février, il revient vers Claudel, jouant en virtuose du conditionnel passé et du futur de l’indicatif: «Vous auriez déjà reçu depuis quelque temps une lettre de Jean Schlumberger…, tout prêt à s’occuper avec vous de l’édition de L’Otage, qui paraîtra, si vous le voulez bien, le plus tôt possible.» On ne saurait être plus obligeant. L’éditeur en puissance est d’ailleurs disposé à tenir compte de tous les désirs de l’auteur. On va même faire fondre un caractère spécial afin de disposer d’un U majuscule surmonté d’un accent circonflexe: indispensable, quand l’héroïne se nomme Sygne de Coûfontaine. La nouvelle maison d’édition, poursuit Gide, publiera L’Otage, La Mère et l’Enfant de Charles-Louis Philippe et Isabelle, de Gide lui-même. «Que vous dirais-je encore? Que devant la proposition de Plon, je m’empresserais de vous conseiller de vous y rendre, si j’estimais que vous y dussiez trouver un réel avantage; mais c’est ce dont je ne me puis persuader…»

 Claudel non plus, apparemment. Le 16 mai, il signe un contrat avec la nouvelle maison. Entre alors en scène un inconnu appelé à jouer les premiers rôles. Sous sa signature, au bas du contrat, figure sa qualité: «Gérant de la Société des Éditions de la Nouvelle Revue française». C’est Gaston Gallimard. L’Otage est achevé d’imprimer le 26 mai. Le livre est revêtu d’une couverture blanche qu’il n’est pas indispensable de décrire. «C’est un peu à cause de vous que je suis devenu éditeur», écrira Gaston à Claudel, bien plus tard.