La Pléaide

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Faulkner en 1962
L'actualité de la Pléiade

William Faulkner, La Demeure, extrait : la mort de Flem Snopes.

17 octobre 2016

Il n’eut pas besoin de dire : « Regarde-moi, Flem. » Son cousin le regardait déjà, la tête tournée par-dessus son épaule. Sinon il ne bougeait pas, seule la mâchoire cessa net de mastiquer. Alors il bougea, se pencha légèrement en avant dans le fauteuil, il venait d’enlever ses pieds appuyés sur le rebord, le fauteuil commençant à pivoter quand Mink à environ cinq pieds s’arrêta et leva son arme en forme de crapaud, couleur de rouille, tenue à deux mains, et la stabilisa, pensant Faut que ça le touche en pleine face, non pas Faut que je le touche mais Faut que ça le touche, et il appuya sur la détente et sentit plutôt qu’il n’entendit le déclic assourdi et stupide, presque distrait. À présent son cousin, les pieds maintenant à plat sur le sol et le fauteuil presque complètement tourné pour lui faire face, semblait immobile et même indifférent, observant les mains sales et tremblantes de Mink, de petites mains d’enfant semblables aux pattes d’un raton laveur domestiqué, tandis que l’une d’elles relevait le chien suffisamment pour que l’autre fasse revenir le cylindre d’un cran en arrière afin que la balle se présente de nouveau sous le chien ; à nouveau cette chose vague surgie du passé lui fit signe, le poussa du coude, non pas un avertissement, pas même vraiment un retour en arrière, seulement quelque chose de léger, de familier et toujours sans importance puisque, quoi que cela ait pu être, même auparavant cela n’avait pas été assez fort pour changer quelque chose ou même assez remarquable pour qu’il s’en souvienne ; il l’avait dans l’instant même chassé de son esprit. Tout va bien pensa-t-il Ça va marcher cette fois ; le Vieux Maître joue pas de tours et il arma le pistolet et le stabilisa à nouveau à deux mains, son cousin ne bougeant plus du tout maintenant bien qu’il ait recommencé à mastiquer faiblement, comme si, lui aussi, il était en train d’observer le faible point lumineux sur le percuteur lorsque le chien s’abattit.

Cela fit un bruit effrayant, mais dans le même instant Mink cessa de l’entendre. Le corps de son cousin se convulsait à présent en un sursaut à demi réprimé qui un instant après allait complètement renverser le fauteuil ; il lui sembla, à lui, Mink, que la détonation du pistolet n’était rien mais que, lorsque le fauteuil aurait fini de basculer et de s’écraser sur le plancher, le bruit réveillerait tout Jefferson. Il tourna sur lui-même ; mais pendant un instant il essaya de dire, de crier : « Arrête ! arrête ! Tu dois être sûr qu’il est bien mort ou tu auras tout gâché ! » mais ce fut impossible, il ne se rappela pas quand il avait remarqué l’autre porte dans le mur derrière le fauteuil, mais elle était là ; où elle menait n’avait aucune importance à condition de pouvoir sortir et non revenir en arrière. Il s’y précipita, essayant fébrilement la poignée, la secouant, continuant de la tourner et de la secouer même après s’être rendu compte que la porte était fermée à clef, continuant de secouer la poignée, ne voyant plus rien à présent, même après que la voix eut parlé derrière lui, et il tourna à nouveau sur lui-même et vit la femme debout dans l’embrasure de la porte du vestibule.

Traduction par René Hilleret, revue par François Pitavy.

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