Parution le 26 Septembre 2024
130.00 €
«Est-ce le grand bouquin ?» demande la bande publicitaire de Pedigree, qui paraît en octobre. Un livre à part, à tout le moins : «Pedigree n’a été écrit, ni de la même façon, ni dans les mêmes circonstances, ni dans les mêmes intentions que mes autres romans, note Simenon, et c’est sans doute pourquoi il constitue une sorte d’îlot dans ma production.» L’auteur s’en explique dans une préface qui paraîtra en tête de l’édition « définitive », en 1958.
À la fin de 1940, un médecin lui annonce par erreur qu’il n’a plus que deux ans à vivre. Son fils, Marc, né en 1939, aura donc fort peu connu son père. À en croire Simenon, c’est «pour remplir en partie cette lacune» qu’il commence à rédiger, à la première personne, le récit de son enfance liégeoise. Ce sera peut-être «la grande œuvre à laquelle [il] pense depuis longtemps», et en tout cas «la chanson de geste des petites gens». Gide lit le manuscrit : «première impression fâcheuse», il ne le cache pas à l’auteur. Quand il envoie son rapport à Gaston Gallimard, il est plus net encore : «sans art, sans accent, sans relief, flasque et étiré». Il encourage Simenon à transformer son texte en un roman à la troisième personne. Il est écouté ; le héros se nommera Roger Mamelin et sera le double fictionnel du jeune Georges. Pour autant, la version à la première personne ne disparaît pas ; elle est publiée en 1945 sous le titre Je me souviens… Quant au roman à la troisième personne, Pedigree, il est achevé d’imprimer le 15 octobre 1948, paraît aux Presses de la Cité et connaît le succès.
Cela ouvre des horizons à certains. Comme le dit la préface de l’édition définitive, «il est difficile, aujourd’hui, de donner un nom, une profession, une adresse, voire un numéro de téléphone à un personnage de roman sans s’exposer à des poursuites judiciaires». En février 1950, Simenon doit s’engager à retirer du livre le nom de l’un de ses anciens condisciples de l’institut Saint-André de Liège, qui s’estimait diffamé. En janvier 1952, il est condamné pour avoir mis en cause une certaine dame dans Je me souviens… En mai, il comparaît à Verviers sur une plainte d’un ancien locataire de sa mère ; il lui faut retrancher de Pedigree les passages litigieux. Chaque fois, le jugement est assorti de dommages-intérêts. Et les frères des Écoles chrétiennes, qui estiment que Simenon a donné d’eux une image peu flatteuse, aimeraient bien bénéficier, eux aussi, de ses « largesses »… «À qui le tour ?» s’interrogent les journaux belges.
À la fin de 1952 sort des presses une nouvelle édition ; les passages incriminés ont été supprimés ; Simenon, «peut-être un peu ironiquement», les remplace par des blancs. Dans l’édition de 1958, ces blancs disparaissent à leur tour, mais la préface rappelle les attaques qu’a subies le livre. Simenon y réaffirme que «Pedigree est un roman, donc une œuvre où l’imagination et la re-création ont la plus grande part». Et en privé il précise : «C’est même le seul grand roman belge !»