La Pléaide

1936

Le 16 juin, Gide vole vers Moscou en compagnie de Pierre Herbart. Il s'installe à l'hôtel Métropole. Le 21, il fait sur la place Rouge l'éloge de Maxime Gorki, qui vient de mourir; l'un des porteurs de l'urne funéraire se nomme Joseph Staline. Du 1er au 4 juillet, Gide et Herbart, rejoints par Eugène Dabit, Jacques Schiffrin, Jef Last et Louis Guilloux, séjournent à Leningrad. Puis c'est Moscou de nouveau, la Géorgie, le Caucase, les abords de la mer Noire, Sébastopol, et Moscou encore. Foules enthousiastes, autorités prévenantes (et attentives), discours lyriques. Gide, toujours lesté de carnets, prend des notes. Le 24, accompagné de Herbart, il repart pour Paris. Il consacre la fin de l'été et le début de l'automne à rédiger un témoignage qui va paraître le 13 novembre. C'est le Retour de l'U.R.S.S. Ce n'est pas exactement le livre que ses hôtes soviétiques attendaient.

L' « Avant-propos » est nuancé, honnête — « J'ai déclaré, il y a trois ans, mon admiration pour l'U.R.S.S., et mon amour » —, mais surtout très clair : « C'est témoigner mal son amour que le borner à la louange et je pense rendre plus grand service à l'U.R.S.S. même et à la cause que pour nous elle représente, en parlant sans feinte et sans ménagement. » Et en effet le livre ne ménage pas l'Union soviétique : évoquant l'investissement consenti par « la riche Société des auteurs soviétiques », qui l'avait invité, Gide reconnaît qu'il n'a « pas été très “rentable” ».

Dès son retour, il a été en proie à un « effroyable désarroi », à quoi répondent la déception et les inquiétudes de ses compagnons de voyage. Le manuscrit du Retour rappelle l'affection de l'auteur pour les Russes, mais évoque sans fard les carences dont souffre le peuple, les vices du système, le culte de la personnalité, l'emprise de la police politique, la dictature d'un homme. « Comment nuancer ? » s'interroge Gide dans l'un de ses cahiers.

Il fait dactylographier son texte, songe à l' »Avant-propos », révise le dactylogramme, porte le 21 octobre l'ouvrage chez Gallimard et en corrige bientôt les épreuves. Entre le manuscrit et la version destinée à l'impression, sa position s'est durcie, et l'on n'attend pas la sortie du livre pour exercer sur lui des pressions. « On » ? Ilya Ehrenbourg, Aragon, Groethuysen, et même Last et Herbart, qui étaient pourtant du voyage. Chacun souligne que « ce n'est pas le moment » : l'U.R.S.S. vient de s'engager aux côtés de l'Espagne républicaine. Gide veut bien tenir compte de cet aspect des choses, il ajoute une phrase en ce sens, mais pour le reste il persiste et signe. Le livre doit paraître. Il paraît.

Comme prévu, il fait l'effet d'une bombe. En un an, près de 150 000 exemplaires seront vendus. La presse de droite se réjouit, non sans ironie. Dans L'Humanité, dans Commune et bien sûr dans La Pravda, on parle de mauvaise foi, voire de haute trahison. La gauche trotskiste et non communiste, quant à elle, approuve Gide, dont l'honnêteté et la lucidité sont vantées, même si ses analyses économiques suscitent quelques railleries.

L'ex-« compagnon de route », lui, prépare un nouveau livre. Retouches à mon « Retour de l'U.R.S.S. » paraîtra en 1937. « Retouches », si l'on veut. Gide y précisera ses positions plutôt qu'il ne les révisera. Cette fois, il sera traité de « méchant vieillard », d' »esthète décadent » et, pour faire bonne mesure, d' »agent de la Gestapo ». Mais la Russie soviétique perdra beaucoup de son prestige aux yeux d'une partie de la gauche française.

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