La Pléaide

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Georges Feydeau
L'actualité de la Pléiade

Feydeau, Théâtre. Violaine Heyraud, Introduction au Théâtre de Feydeau, extrait.

Novembre 2021

    En construisant son intrigue, Feydeau en rend l’excentricité acceptable ; la causalité même des événements, à son tour, paraît délirer. L’horlogerie comique est conçue pour s’emballer. Feydeau triche avec sa mécanique, au nom d’une logique supérieure, d’ordre spectaculaire. Il omet parfois certaines justifications — présentes dans le manuscrit — qui constitueraient une perte de temps. Ailleurs, il force la loi des probabilités. Si deux personnages ne doivent pas se rencontrer, Feydeau, comme il le confie à Tristan Bernard, les met en présence, s’obligeant, en virtuose, à inventer de nouvelles péripéties. Il dépiste le public, le prend de vitesse, l’étourdit. Ionesco sera sensible à cette poésie structurelle :

        J’ai été étonné de voir qu’il y avait une grande ressemblance entre Feydeau et moi… pas dans les thèmes, pas dans les sujets ; mais dans le rythme et la structure des pièces. Dans l’ordonnancement d’une pièce comme La Puce à l’oreille, par exemple, il y a une sorte d’accélération vertigineuse dans le mouvement, une progression dans la folie ; je crois y voir mon obsession de la prolifération¹.

    Mais la logique spectaculaire impose aussi d’éviter les excès, de doser ses effets. Un fil à la patte, par exemple, compte deux personnages à accent, un général sud-américain et une gouvernante anglaise : ils ne se croiseront pas, car leurs forces comiques pourraient s’annuler, mais se succéderont, pour entretenir l’humeur enjouée. Il faut aussi savoir couper, décélérer et ménager, après les explosions, des temps de récupération, pour les acteurs et pour le public. Feydeau se prétend connaisseur de la machine humaine, du nombre d’effets comiques qu’elle tolère, des soupirs qu’elle dégage. Dans La Dame de chez Maxim, il indique, dans les didascalies, la durée d’un éclat de rire — outrecuidance folle d’expert en ingénierie comique, ou instinct de l’homme de théâtre. Il se veut à l’écoute des palpitations de son public et parle presque en apothicaire :

        En arrangeant les folies qui déchaîneront l’hilarité du public, je n’en suis pas égayé, je garde le sérieux, le sang-froid du chimiste qui dose un médicament. J’introduis dans ma pilule un gramme d’imbroglio, un gramme de libertinage, un gramme d’observation. Je malaxe, du mieux qu’il m’est possible, ces éléments. Et je prévois presque à coup sûr l’effet qu’ils produiront².

    Feydeau veille en effet à équilibrer ses actions, qui ne se réduiront pas à un mouvement pur. Ses réglages comiques se soumettront donc également à une autre logique, symbolique, celle-là, en fonction du sens qu’il compte donner à son œuvre, et qui varie selon les pièces et le moment de leur composition.

 

¹. Eugène Ionesco, Notes et contre-notes, Gallimard, coll. « Folio », p. 305.
². Propos de Feydeau rapportés par Adolphe Brisson, « Une leçon de vaudeville », Le Temps, 1er février 1899.

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