La Pléaide

1968

Le 2 mai, les cours sont suspendus à Nanterre. Le 3, on interpelle les étudiants qui manifestent dans la cour de la Sorbonne : c’est parti. Le 5, un tract indique que «le mouvement surréaliste est à la disposition des étudiants». Le 7, Sartre, Beauvoir, Leiris et d’autres écrivains affirment à leur tour leur solidarité avec les manifestants. Le 8, Mauriac et quatre autres prix Nobel s’inquiètent de la répression policière. Le 9, un nouveau texte de soutien est signé par une trentaine d’écrivains et de philosophes. Ce jour-là, place de la Sorbonne, Aragon est face à Daniel Cohn-Bendit, que L’Humanité a traité d’«anarchiste allemand». Le poète met le prochain numéro des Lettres françaises à la disposition des étudiants, mais ceux-ci veulent intervenir dans L’Huma. « Dans L’Humanité, je ne peux rien », répond Aragon, que la foule conspue.

Dans la nuit du 10 au 11, on élève des barricades au Quartier latin. «Le seul rapport qu[e les étudiants] puissent avoir avec cette Université, c’est de la casser», dit Sartre à Radio-Luxembourg, le surlendemain. Le 13, grève générale, la Sorbonne est occupée. Journal de Léautaud :  Je suis au septième ciel. Tout va mal. […] Ce n’est pas que j’aie la moindre sympathie pour les étudiants, engeance détestable […]. Mais je suis ravi du désordre.» (Léautaud est mort depuis 1956, mais cela n’arrête pas Jean-Louis Curtis, pasticheur invétéré.)

Le 18, création du «Comité d’action étudiants-écrivains révolutionnaire», qui soutient le mouvement et entend, par la même occasion, «réviser les conditions d’exploitation des écrivains par les éditeurs». Marguerite Duras, Claude Roy, Maurice Blanchot, Nathalie Sarraute, Bernard Pingaud et d’autres signent le communiqué.

Le 20, vers 22 heures, Sartre dialogue avec les étudiants dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne. Il s’éclipse à 23 heures 30, après avoir appelé à l’union des fils de la bourgeoisie avec les ouvriers, mais sans avoir répondu à la question sur le sens de sa formule «L’Enfer, c’est les autres». Le lendemain, prise de l’hôtel de Massa, siège de la Société des Gens de Lettres, par une poignée d’écrivains qui forment une «Union». La revue Action publie un poème de Prévert intitulé, opportunément, «Mai 1968». «Ces heures de perplexité que nous vivons…», note Julien Green dans son Journal ; mais il connaît un remède : un livre du Père Daniélou sur la Sainte-Trinité.

Leiris et ses collègues envahissent l’appartement du musée de l’Homme où demeure Christian Fouchet, le ministre de l’Intérieur ; ils sont priés de se rendre au poste. Sur un mur du musée d’Art moderne occupé, Michaux reconnaît dans un graffiti le début d’un de ses poèmes. Malraux, ministre, s’imagine en défenseur du Louvre assiégé : «devant Samothrace, je serai au milieu des marches. Vous serez tous derrière moi, dit-il à ses collaborateurs. Nous serons là, les bras étendus.» Le 30, sur les Champs-Élysées, il est au premier rang du défilé de soutien au général de Gaulle. Julien Green, ce jour-là, relit le livre du Père Daniélou. La «Quinzaine de la Pléiade» est consacrée à Paul Éluard.