La Pléaide

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Les coulisses de la Pléiade

Naissance d'une Pléiade : de la préparation typographique à la relecture de l'appareil critique

La lettre de la Pléiade n° 2
septembre-octobre-novembre 1999

« Fabriquer » un volume de la Pléiade, c'est transformer en un livre maniable et élégant un manuscrit (en fait un « tapuscrit ») qui pèse plusieurs kilos et peut être haut de plus d'un mètre... L'opération, on s'en doute, est délicate.

Elle occupe pendant douze, quinze ou dix-huit mois une équipe de neuf personnes, fait appel aux recettes traditionnelles de l'« artisanat » éditorial et ne néglige pas les techniques informatiques les plus modernes. Comme toute alchimie, elle suppose un certain mystère. Peut-être les membres du Cercle de la Pléiade souhaiteront-ils néanmoins que se lève, à leur intention, un coin du voile.

Une fois accepté — c'est-à-dire après que les questions d'ordre général ont été évoquées avec les « éditeurs » (1) et tranchées —, le manuscrit est « mis en fabrication ». Première étape : la préparation typographique des textes (2). La Pléiade possède son propre protocole typographique, qui est appliqué à tous les volumes, mais ne doit pas gommer les particularités de chaque œuvre. Cette étape demande donc autant de sensibilité littéraire que de rigueur.

C'est lors de la préparation qu'est arrêtée la présentation des textes : les parties d'un roman seront-elles placées à la suite les unes des autres ? Chacune commencera-t-elle sur une nouvelle page ? On détermine également l'usage qui sera fait de l'italique, des guillemets, des majuscules, des corps (les différentes tailles de caractères), des titres (faux titres, surtitres, intertitres...). Autant de détails qui font qu'une Pléiade aura toujours un air de famille avec les autres volumes de la collection, et qu'elle ne ressemblera à aucun autre livre. L'opération exige de trois semaines à plusieurs mois de travail selon les cas.

Le préparateur a toujours une formation en littérature, langues ou sciences humaines et, bien sûr, une longue expérience en matière de typographie. S'il est chargé de préparer des traductions, il est invité à faire les remarques de fond ou de forme qu'il juge utiles, à attirer l'attention du responsable du volume sur la correction de la langue ou de la ponctuation, à signaler toutes les difficultés qui doivent être levées avant l'établissement de la première épreuve.
Le manuscrit « préparé » est rebaptisé « copie d'impression ». Il est remis au service de Fabrication, qui le confie à l'imprimeur (appelé « compositeur ») chargé de la « saisie », autrement dit de la frappe des textes sur ordinateur (3). Quelques semaines plus tard, l'imprimeur adresse au service de la Pléiade les disquettes contenant sa saisie, laquelle est alors « mise sous styles » : le metteur sous styles y introduit les codes qui déterminent les paramètres (format, corps, caractères, interlignage, etc.) des futures pages du volume.

C'est à partir de la copie d'impression mise sous style qu'est « tirée » la première épreuve, dite « placard ». Cette épreuve n'a pas encore le format de la future page Pléiade, et sa pagination est provisoire. Elle est envoyée aux éditeurs pour lecture et examen. Le responsable du volume en remet un exemplaire au correcteur. Celui-ci, qui travaille à domicile, est chargé d'en faire, selon la difficulté du volume, une ou deux lectures. La première lecture est une lecture « avec copie » : le correcteur s'assure que tout ce qui figure sur la copie d'impression a bien été « saisi » mot à mot, signe à signe ; il corrige les coquilles et vérifie que les indications du préparateur typographique ont été convenablement interprétéespar l'imprimeur. La deuxième lecture est une lecture « sans copie » ; plus cursive, elle permet généralement de procéder aux dernières unifications typo- ou orthographiques.

Parallèlement à la correction de la première épreuve commencent la relecture et la révision du manuscrit de l'appareil critique. Ce travail est généralement à la charge du responsable du volume ; dans certains cas, il peut être confié à un collaborateur travaillant à domicile, le lecteur-correcteur. L'objectif est simple (seule l'exécution se révèle parfois difficile...) : il s'agit de s'assurer que toutes les composantes de l'appareil critique répondent aux normes de la collection ; que les faits présentés sont exacts ; que la manière dont ils sont exposés convient à un lecteur qui, quoique souvent bien informé, n'est pas censé être un spécialiste du sujet ; que les références ne sont pas faites, sans raison, à quatre éditions différentes du même roman ; que l'auteur de la note 4 de la page 523 (un universitaire réputé) n'affirme pas le contraire de ce que soutient mordicus celui de la note 2 de la page 197 (autre universitaire réputé) ; que les variantes sont judicieusement choisies, qu'il y en a assez, et qu'il n'y en a pas trop ; que l'on n'a pas négligé de rédiger une note pour éclairer un passage délicat ; enfin, que la langue dans laquelle le tout est écrit est non seulement correcte, mais, dans la mesure du possible, agréable.

Tout cela ne se fait pas en un jour. Les vérifications exigent parfois une documentation considérable. Veuton contrôler un relevé de variantes ? Il faut disposer d'un microfilm du manuscrit (ou d'une photocopie d'édition ancienne), que l'on doit commander à la Bibliothèque nationale de France, à la British Library, à Yale, à Istanbul...
Mais les collaborateurs du service éditorial de la Pléiade ne sont pas censés se substituer aux spécialistes qui ont rédigé l'appareil critique. Ce qu'ils mettent en œuvre, pendant les mois qu'ils consacrent à la relecture du manuscrit dont ils sont responsables, c'est moins un savoir encyclopédique qu'un savoir-faire : puisqu'il est impossible de tout connaître, il s'agit de poser les bonnes questions, de les poser à la bonne personne, et de la bonne manière, celle qui permet d'obtenir une réponse.

C'est dire qu'ils travaillent en lien constant avec les éditeurs des volumes. Quand la première épreuve du texte a été corrigée par un correcteur et que le manuscrit de l'appareil critique porte enfin des dizaines ou des centaines de remarques, de questions, de suggestions, le tout est soumis à l'éditeur du volume. À lui, désormais, de répondre aux questions, de procéder aux modifications nécessaires, d'entériner les propositions qui lui sont faites — ou de les rejeter, de préférence en expliquant ses raisons. Un débat s'instaure. S'il est mal conduit, chacun campe sur ses positions. S'il se déroule normalement, c'est la qualité finale de l'édition qui s'en trouve améliorée.

1. Les « éditeurs » sont les spécialistes chargés de l'établissement des textes, de la réalisation ou de la révision des traductions et de la rédaction de l'appareil critique. Le même terme peut aussi désigner les membres du service de la Pléiade à qui est confiée la responsabilité d'un ou de plusieurs volumes ; pour éviter toute confusion, nous appellerons ces derniers les « responsables de volumes ».

2. Par convention, nous appelons « textes » les oeuvres de l'auteur. Par « appareil critique » nous entendons l'Introduction, la Chronologie, les Notices, les Notes et Variantes, la Bibliographie et les éventuels Index ou Répertoires.

3. Il arrive aussi que les éditeurs d'un volume remettent un manuscrit déjà saisi ; si cette saisie est de bonne qualité, elle est utilisée ; si elle présente trop de défauts techniques — on peut être le plus grand spécialiste d'un auteur sans être un dactylographe d'exception... —, elle est entièrement refaite.

Suite de la naissance d'une Pléiade