La Pléaide

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Les coulisses de la Pléiade

Fabrication d'une Pléiade : de la composition à l'impression

La lettre de la Pléiade n° 4
mars-avril 2000

Qu'il s'agisse de la qualité éditoriale du manuscrit ou de la beauté du livre, la préparation d'un ouvrage à paraître dans la Pléiade nécessite, à chacune de ses étapes, le même soin méticuleux : la fabrication n'échappe pas à cette exigence.

Les particularités de la collection
Les volumes de la Pléiade sont des ouvrages originaux à plusieurs titres.
En tout premier lieu, on mentionnera la police de caractères : qui n'a pas goûté ce « plaisir superfétatoire » (selon la propre formule d'un membre du Cercle) des ligatures, élégantes arabesques liant deux lettres entre elles ? La disparition des caractères de plomb faillit porter un coup fatal à ces ornements : le Garamond monotype ne faisait pas partie des polices informatiques standardisées. Il a donc fallu recréer de toutes pièces les quarante-trois ligatures de cette police à l'aide d'un logiciel spécialement conçu à cet effet.
Mais c'est sans doute le choix du papier qui demeure, pour la majorité des lecteurs, l'emblème de la Pléiade. Voile de papier, le Véritable Bible 36 grammes offre l'avantage d'allier finesse et solidité. Afin d'en atténuer la transparence, et donc de faciliter la lecture, les papetiers y ajoutent un agent opacifiant.
Ces pages, qui veulent offrir aux auteurs l'immortalité et aux collectionneurs passionnés une garantie de longue conservation, il faut les protéger contre tout ce qui serait susceptible de les dégrader. Les composants du papier assurent sa permanence : fabriqué en milieu neutre, ce qui élimine l'acidité naturelle, le papier Bible qui sert à la Pléiade est obtenu à partir d'une pâte chimique dite « de pure cellulose », par opposition à la pâte mécanique, qui utilise du bois et conserve trop d'impuretés. Enfin, est incorporée à cette préparation une réserve alcaline (poudre de calcaire) qui a pour effet de neutraliser les attaques acides extérieures comme par exemple la pollution.

Le processus de fabrication
La fabrication exige en général une année de travail. Elle se déroule en trois grandes séquences : la composition, l'impression et la reliure.
Première étape de ce parcours : la composition.
Sous ce terme étaient autrefois réunies la saisie (également appelée « composition ») et la mise en page du document. Aujourd'hui, dans la majorité des cas, l'éditeur fournit un fichier numérique (une disquette) qui comporte déjà une grande partie des attributs de composition : italique, petites majuscules, grandes majuscules, retraits, sauts de ligne ou de page, etc. La composition est donc synonyme de mise en page — opération simple lorsque le volume se compose d'oeuvres en prose présentées de manière classique, mais particulièrement délicate lorsqu'il faut respecter la disposition particulière du Coup de dés de Mallarmé ou assurer la concordance entre un texte latin (par exemple dans les oeuvres de Ronsard) et sa traduction française. Compte tenu du faible grammage du papier utilisé, et de son opacité réduite, une attention particulière est portée au respect du registre, c'est-à-dire à la superposition exacte de la zone imprimée des pages qui se trouvent sur un même feuillet (l'une au recto, l'autre au verso). Chaque ligne du recto doit correspondre à une ligne imprimée au verso, afin que les interlignes demeurent blancs. Là encore, le confort de lecture est en jeu.
Au stade de l'impression, deux changements importants sont intervenus au cours de ces dernières années. Ainsi, depuis neuf ans, les Pléiade sont imprimées sur des rotatives. À la différence des machines à feuilles, qui impriment et sortent des feuilles à plier, les rotatives sont alimentées par des bobines et sortent des bandes de papier imprimé déjà pliées en cahiers.
Plus récemment, ont été abandonnés les films qui servaient à l'élaboration des plaques d'impression : depuis un an, la fabrication des plaques est réalisée par procédé CTP (Computer To Plate), ce qui permet l'insolation (1) directe du fichier numérique sur la plaque d'aluminium, au moyen d'un rayon laser. Outre un gain de temps, ce procédé offre une meilleure définition du texte : en supprimant le film, on élimine une matrice intermédiaire entre le fichier et la plaque.

Le livre est ensuite imprimé selon le principe de l'offset (2) : le texte encré à l'endroit sur la plaque se dépose à l'envers sur le blanchet (cylindre de caoutchouc qui, du fait de sa souplesse, permet une meilleure impression du papier). À la suite d'un nouveau transfert, cette fois-ci à l'endroit, le texte vient s'imprimer du blanchet sur le papier.
Les trois premières pages de chaque volume sont imprimées en deux couleurs : noir et rouge. Le cahier de tête (3) nécessite ainsi deux groupes d'impression : un passage pour le noir et un pour le rouge.

Lorsque la phase d'impression proprement dite est achevée, la bande de papier passe directement dans une plieuse, qui la découpe et la plie en cahiers. Ces cahiers n'excèdent jamais trente-deux pages, afin que la tranche (4) ne présente pas de dents de scie. Chaque livre est ainsi composé de plusieurs dizaines de cahiers. Une Pléiade de 1664 pages, par exemple, est constituée de cinquante-deux cahiers de trente-deux pages.

L'opération de pliage est rendue délicate par la finesse du papier. Aussi est-il indispensable de multiplier les contrôles lors de cette étape : en cas d'anomalie, il convient d'intervenir rapidement. Au reste, il faut noter que l'usage d'une rotative permet un pliage plus rapide et plus régulier qu'avec une machine à feuilles.

Une fois pliés, ces cahiers sont réunis dans un stacker (5) pour être rangés et pressés. On en fait un bloc compact : c'est la brique, prête pour la reliure.

1. Insolation : Exposition à la lumière (ici au rayon laser) d'une plaque enduite d'une matière sensible.

2. Offset : Système du transfert — jeu d'équilibre entre l'eau et l'encre (grasse) — en opposition avec : la sérigraphie qui utilise le procédé du pochoir ; la typographie, qui utilise le relief ; et enfin l'héliogravure qui utilise le creux.

3. Cahier de tête : Premier des cahiers composant un livre.

4. Tranche : Partie des feuillets qui est rognée (= tranchée), pour présenter une surface unie. On distingue : la tranche de pied, la tranche de tête et la tranche en gouttière.

5. Stacker : Système de rangement et de comptage.