La Pléaide

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"Le théâtre de Montherlant et la vie". Manuscrit autographe de Montherlant, janvier 1955
"Destin et sacrifice dans le théâtre de Montherlant" Manuscrit autographe de Montherlant, janvier 1955
L'histoire de la Pléiade

La Pléiade selon Montherlant

La lettre de la Pléiade n° 40
Mai 2010

Les ventes publiques réservent souvent de bonnes surprises ; celle qui s’est tenue le 12 mars dernier à l’hôtel Drouot (commissaire-priseur : Brissonneau) présentait deux beaux ensembles, l’un consacré à Jean Cocteau, l’autre à Henry de Montherlant. La description du lot pouvait qu’attirer l’attention de l’amateur de la Pléiade.

On y trouvait rassemblés trois feuillets autographes sous le titre d’« Autoportrait – Autobiographie », où l’auteur de La Reine morte présentait lui-même l’édition de son Théâtre paru dans la collection en février 1955. Autoportrait, autobiographie : certains auraient préféré parler, s’agissant de la Pléiade, d’autoconsécration. Rappelons que Montherlant était alors le quatrième auteur à faire une entrée anthume dans la collection – ce qui, privilège insigne des vivants, lui donnait toute liberté d’intervenir dans l’établissement et la promotion de ce volume rétrospectif. Les quelques feuillets mis en vente attestaient de cette implication. Nous en donnons, plus bas, la transcription.

On l’a souvent écrit ici : bien née, la Pléiade ne put pourtant prospérer que dans la mesure où elle fut, très tôt, adossée à un catalogue remarquable. Après dix années d’existence, la meilleure vente de la collection était le Journal d’André Gide, lequel avait été, avec Paul Claudel, le premier auteur (et le fondateur) des Éditions de la NRF ! L’entrée progressive d’auteurs contemporains devint, au fil des temps, un élément clé de l’équilibre économique de la Pléiade. La bonne santé de la collection dépendait en partie du dynamisme de l’activité éditoriale de toute la maison, revue comprise. C’est là, déjà et toujours, que se jouait son avenir : sa capacité à réunir, plus tard, les œuvres de Supervielle, Michaux, Ponge ou Prévert ; de Sartre, Camus ou Yourcenar ; de Faulkner, Joyce ou Kafka... Et l’attraction deviendrait assez forte pour que nul ne veuille plus y résister, de sorte que des auteurs « hors les murs » s’y abriteraient à leur tour, à l’image de Julien Green, François Mauriac ou de Julien Gracq. Difficile de tourner le dos au Panthéon. C’est ainsi que la Pléiade devint à son tour cet ample « filet aux rets d’or ».

Bien qu’accueilli à La NRF – revue – avec enthousiasme dès 1919, Montherlant fut de ceux, rares, auxquels on tenait mais qui pourtant échappèrent à la maison d’édition de Gaston Gallimard – Gide pensant que l’on pouvait, somme toute, attendre un peu (il ne fut pas long à s’en repentir...). Les romans et essais de Montherlant furent donc publiés durant tout l’entre-deux-guerres par les Éditions Bernard Grasset, grandes concurrentes de la Librairie Gallimard. Or en 1942, alors que Montherlant, contributeur de La NRF de Drieu la Rochelle, avait choisi de ne plus se consacrer qu’à l’écriture dramatique, La Reine morte fut publiée chez Gallimard. La rupture avec Grasset était consommée ; et il n’était plus question que Montherlant donnât ses nouveaux écrits à d’autres qu’à la NRF. Quant aux œuvres d’avant-guerre, il fallait se contenter de subterfuges, agir dans les interstices contractuels ; ainsi de ces cartonnages d’éditeur parus durant la guerre à l’enseigne de la NRF reprenant des œuvres parues chez Grasset – au prétexte (un peu douteux) qu’il s’agissait d’édition de (demi-)luxe à tirage (faiblement) limité.

Mais il s’agissait plutôt pour Montherlant de recouvrer tous ses droits sur son œuvre. Le 11 août 1948, Montherlant assignait ainsi son premier éditeur, aux titres de rétention des ventes, de non-paiement des droits et d’absence d’exploitation permanente et suivie de son œuvre. Le juge donna raison à l’auteur en décembre 1950 ; il y eut appel, désignation d’experts... L’affaire ne fut réglée qu’en 1953. Plusieurs œuvres inédites parurent dans l’intervalle chez Gallimard, dont Malatesta, Le Maître de Santiago, La Ville dont le prince est un enfant... – soit l’ensemble de son théâtre, excepté l’œuvre de jeunesse L’Exil, auquel vint s’ajouter Port-Royal en 1954 – et les Textes sous une occupation.

Gaston Gallimard, puis son fils Claude – qui devint l’interlocuteur principal de Montherlant après-guerre –, suivirent de très près les démêlés de l’auteur du Songe avec leur concurrent. Ils redoublèrent d’attention à son égard. La chronologie figurant en tête du volume de la Pléiade rappelle qu’en 1949, l’hebdomadaire parisien Carrefour ayant demandé à ses lecteurs quel était l’écrivain français qui serait le plus lu en l’an 2000, le nom de Montherlant était arrivé en tête de ce référendum. Fort de l’expérience avec Grasset et soucieux de la réunion et de la prescription de son œuvre, Montherlant demanda à Gaston Gallimard, en novembre 1946, de lui réserver le droit de disposer de ses livres dans le cadre d’œuvres complètes réalisées avec un éditeur de son choix. Le 3 mars 1948, il suggérait à son éditeur de « faire un cartonné » de son théâtre, c’est-à-dire une édition collective des livres parus à ce jour à la NRF depuis l’édition de La Reine morte (en précisant qu’il ne souhaitait pas qu’y fût associé L’Exil – qui pourtant sera repris dans son Théâtre). En 1953, Montherlant acceptait aussi que la célèbre collection des classiques illustrés Vaubourdolle (Hachette) mît en vente un volume l’extraits choisis de son Théâtre : Montherlant était le premier écrivain vivant à y figurer... une manière de consécration. La Pléiade n’était pas loin.

Durant l’été 1953, le contentieux Grasset trouva enfin son épilogue et Montherlant choisit d’apporter l’ensemble de son œuvre au catalogue Gallimard : « Je profite de ce mot, lui écrivit alors son éditeur, pour vous dire combien je suis heureux de votre décision concernant les rééditions de vos œuvres. Vous pouvez être certain que je ferai tout ce que je pourrai pour assurer à votre œuvre une diffusion importante, et surtout pour obtenir qu’elle soit située dans le climat qui lui convient. » Dès le 1er octobre, Montherlant renvoyait à son « ami » Claude Gallimard le contrat Pléiade signé ; il ne concernait encore que le Théâtre – mais les romans ne tarderaient pas à suivre : rien ne s’y opposait désormais. Montherlant se chargea lui-même de solliciter immédiatement un préfacier (ce qu’il fit également trois ans plus tard pour ses Romans) : son choix porta sur Jacques de Laprade, auteur d’un essai sur son Théâtre paru chez Denoël. Il y révélait un « réalisme » de Montherlant, attachement foncier à la vie vécue et ressentie, dévoilée par l’écriture dans toute sa « nouveauté » (une lecture, somme toute, très NRF de cette œuvre).

Mais la parution du volume devait attendre celle, la précédant de peu, de Port-Royal, pièce qui, naturellement, devait y être incluse ! N’était-ce pas un peu précipité ? Montherlant avait ses raisons, ni commerciales ou juridiques, mais littéraires : les onze pièces qui composeraient le volume étaient les seules que Montherlant pensait alors écrire, l’écrivain ayant annoncé son intention d’abandonner le genre. Mais il ne faut jurer de rien : il était dit qu’il y aurait un jour (en 1972, année de sa mort) une nouvelle édition augmentée. Le 18 février 1955, Montherlant recevait un exemplaire de sa Pléiade. Il en fut pleinement satisfait, écrivant au directeur de fabrication de l’époque, Jacques Festy : « J’ai feuilleté le Théâtre et relu la plupart des Notes. Je n’ai trouvé aucune erreur. C’est une réussite. Mon prochain volume à la Pléiade sera sans doute posthume et je n’aurai pas le plaisir de nos billets quotidiens. À moins que dans l’au-delà je ne corrige encore des épreuves. Ce qui est assez possible .» (Librairie les autographes, été 1985, n° 24)... Arland, Blanchot, Caillois, Lazareff, Mac Orlan, Malraux, Martin du Gard, Paulhan, Queneau, Schlumberger reçurent un exemplaire dédicacé par l’auteur... Claude Gallimard avait fait prévenir l’auteur : « Le papier bible boit l’encre de façon dangereuse, et [...] il faudrait essayer une pointe Bic pour les dédicaces. »...

Montherlant, inquiet de la persistance de son œuvre, tenait à l’évidence à cette entrée en Pléiade. Il écrivit à Claude Gallimard en 1957, après que ses Romans y furent réunis, cette manière d’hommage : « Depuis longtemps, lorsqu’il m’arrivait de parler de la survie possible de mon œuvre, mes interlocuteurs avertis me disaient : “Il faudrait que Gallimard prenne tout dans la Pléiade.” Je vous cite ce mot, qui m’a été plusieurs fois répété, parce qu’il me semble qu’il fait le plus grand honneur à votre collection et à vous-même. Les collections littéraires n’assurent pas la postérité : il y a des titres, puis des noms, qui sautent à l’usage. Du moins est-ce une chance. Je vous remercie de me donner cette chance. »
Son époque, du moins, ne voulait croire à son oubli : le Théâtre fut réimprimé aussitôt que paru.

Ces deux textes ont été écrits par Henry de Montherlant en janvier 1955. Ils seront repris pour partie dans la prière d’insérer imprimée pour la promotion du volume, celle-ci ayant été rédigée par Jean Dutourd et augmentée d’un deuxième paragraphe par l’auteur – Montherlant exigeant que celui-ci « fût toujours reproduit dans toute la publicité de cette édition ». Montherlant introduit ici des bonnes feuilles de la préface, qui sont peut-être celles communiquées à Combat le 2 février par Camille Dutourd, attachée de presse des Éditions Gallimard.

Le théâtre de Montherlant et la vie
Le Théâtre de Montherlant paraît dans la collection de la Pléiade. Montherlant est donc le quatrième auteur à être publié vivant dans cette collection, qui comprend surtout des auteurs consacrés par la postérité (les autres auteurs vivants ont été Gide, Claudel et Malraux).
Le volume contient toutes les pièces de Montherlant parues en édition ordinaire, et en outre L’Exil, qu’il écrivit à dix-huit ans, et qui n’avait vu le jour jusqu’ici que dans des éditions à tirage très limité. Il est préfacé et annoté par Jacques de Laprade, qui a publié chez Denoël un ouvrage de critique, Le Théâtre de Montherlant.
Certaines pièces paraissent dans la Pléiade en une version remaniée : ainsi Celles qu’on prend... et surtout La Ville dont... – cette dernière œuvre comprenant de nombreuses additions tant dans le texte même que dans les indications de mise en scène. Voici un extrait de la préface de Jacques de Laprade.

Destin et sacrifice dans le théâtre de Montherlant
Port-Royal étant la dernière pièce d’Henry de Montherlant, son Théâtre complet va paraître dans la collection de la Pléiade. L’édition contient, outre toutes les pièces de Montherlant qui ont paru en édition courante, sa première pièce, L’Exil, qui n’a jamais paru qu’en édition à tirage restreint et dont il a été écrit qu’elle était « la clef de voûte » [de] son œuvre ; une version augmentée et inédite de Celles qu’on prend dans ses bras ; et surtout une version augmentée et inédite de La Ville dont le prince est un enfant, comprenant, avec de nombreuses additions de texte, les indications de mise en scène sensiblement enrichies. Dans le volume ont été réunies aussi, pour la première fois, toutes les Notes de Théâtre que l’auteur avait dispersées dans des périodiques.
Le volume de la Pléiade comprend une préface, un index biographique et des notes par Jacques de Laprade. Nous donnons ici un extrait de la préface.

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