La Pléaide

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L'histoire de la Pléiade

Anthologie des auteurs parlant de la Pléiade (2/2)

La lettre de la Pléiade n° 10
Novembre-décembre 2001

Nous vous remercions d'avoir été si nombreux à nous faire parvenir des extraits de vos lectures complétant notre anthologie. Insolites, émouvantes, anecdotiques ou instructives, témoignages d'auteurs, d'éditeurs ou de lecteurs, ces courtes citations nous en apprennent toujours plus sur les origines et coulisses de la Pléiade... et confirment qu'en toutes circonstances les volumes de notre collection peuvent être de précieux compagnons.

> « [9 novembre 1932.] Au coin de la rue Le Goff et du Boulevard Saint-Michel, la boutique des Éditions de La Pléiade : oeuvres de Baudelaire, de Racine, de Stendhal, de Voltaire réunies en un volume. À l'étalage, un grand portrait de Baudelaire, d'après une photographie de Carjat. Ce soir, deux jeunes gens arrêtés là, regardant. L'un dit à l'autre "Baudelaire". »

Paul Léautaud. Journal, II. Mercure de France, 1986, p. 1122.
Communiqué par M. Marc Fauré (Toulouse).

> Paul Léautaud, employé au Mercure de France, évoque le souvenir d'une visite de Jean Paulhan, alors en charge de la Pléiade, souhaitant obtenir de la maison d'édition de la rue de Condé les droits de publication de textes de Rimbaud. La scène se passe le 13 mars 1941 ; Jacques Bernard, favorable aux forces d'occupation et qui renverra sous peu Léautaud, est alors directeur du Mercure :

« Je monte voir si Bernard est là, à qui je demande s'il peut recevoir quelqu'un de la NRF[...] Bernard me dit "Pourquoi ? Pour une affaire d'édition. — Quelle édition ? — La NRF voudrait vous demander les oeuvres de Rimbaud pour en faire un volume de la Pléiade. — Jamais à aucun prix." Je lui fais remarquer que les volumes de la Pléiade se vendent entre 100 et 150 F et qu'il ne s'agit pas d'une concurrence avec les volumes du Mercure. Il me fait alors cette réponse, en hurlant presque : "À aucun prix. À aucun prix. Et mon pied au cul." [...] Je lui ai [à Paulhan] répété la réponse de Bernard : "À aucun prix. À aucun prix." J'ai ajouté : "Et je ne vous dis pas toute la réponse. — Mais si. Mais si. Dites, je vous prie. — Non." Voilà l'individu entre les mains duquel est une maison comme le Mercure. »

Paul Léautaud. Journal, III. Mercure de France, 1995, p. 311.
Communiqué par M. Marc Fauré (Toulouse).

> Georges Simenon à André Gide, 6 août 1946 :

« J'ai pu me procurer les belles éditions américaines de Thésée, de Hamlet et des pages du Journal. Je regrette seulement de n'avoir pas apporté mon exemplaire de la Pléiade où j'avais l'habitude de lire chaque jour quelques pages, au hasard. Je croyais avoir tout lu et relu... Et aujourd'hui cela me manque. Mais je vais me le faire envoyer. »

Georges Simenon et André Gide. ...Sans trop de pudeur. Correspondance 1938-1950, Omnibus,
1999, lettre n° 36.
Communiqué par Mme Floriane Prévot (Reims).
> Pascal Pia, journaliste, éditeur, homme de grande culture, était l'ami d'Albert Camus. Il eut d'importantes activités de résistant pendant la Seconde Guerre mondiale — qu'évoque Y.-M. Ajchenbaum dans sa préface à la Correspondance Albert Camus / Pascal Pia —, ce qui lui faisait craindre l'arrestation :

« À Jacqueline Bernard, son bras droit, chargée de rassembler les articles destinés à la publication clandestine du journal Combat et qui sera également arrêtée en juillet, il confie, entre deux anecdotes sur la vie littéraire au XIXe siècle : " Si je suis arrêté, je veux juste le Baudelaire de la Pléiade." »

Albert Camus / Pascal Pia. Correspondance 1939-1947. Gallimard / Fayard, 2000, p. XXI.
Communiqué par Mme Marie-Agnès El Aoumari (Ménigoute).

> Louis-Ferdinand Céline à Gaston Gallimard, 24 octobre 1956 :

« Cher ami. Les vieillards, vous le savez, ont leurs manies. Les miennes sont d'être publié dans la Pléiade (Collection Schiffrin) et édité dans votre collection de poche (M à Crédit). Je n'aurais de cesse, vingt fois que je vous le demande. Ne me réfutez pas que votre Conseil, etc. etc... tout alibis, comparses, employés de votre ministère... MM. Soupe qui se lavent les pieds et jouent de la trompette, entre deux vacances et treize maladies. C'est vous la Décision. Vous avez donc la bonté de me faire part de votre décision. Ministre et homme d'affaire... celle que je vous propose est excellente.
Ami Destouches. La Pléiade et l'édition de poche pas dans vingt ans, quand je serai mort ! non ! tout de suite ! cash ! vous n'êtes ni un "rêveur" homme à "histoires" ! Vous me comprenez ! »

Louis-Ferdinand Céline. Lettres à la N.R.F. 1931-1961. Gallimard, 1991, p. 329-330.
Communiqué par M. Jacques Crespin (Châtel).

> Louis Aragon à Mathieu Galey :

« La Pléiade, soyez tranquille dès que j'aurai le dos, hein !... J'ai refusé parce qu'on n'a pas voulu m'y mettre au début sous prétexte que mon oeuvre n'était pas achevée. Ensuite on a pris Montherlant... ils attendront. D'ailleurs ce serait perdre son temps que de corriger tout cela ! Car les fautes deviennent définitives dans ces bibles. Il faut corriger tout avec minutie. »

Mathieu Galey. Journal, 1953-1973, Grasset, 1987, p. 460.
Communiqué par M. Marc Fauré (Toulouse).

> Roger Grenier, qui revient dans Fidèle au poste, sur ses années d'homme de radio, évoque le souvenir d'un projet d'émission avec Jean Genet :

« À l'époque, Jean Genet n'était pas encore reconnu comme un grand écrivain. Il était considéré comme un incurable malfaiteur et, à ce titre, sur le point d'être relégué, c'est-à-dire enfermé à vie. [...] Pouey organise donc une rencontre avec Genet, dans notre petit immeuble de la radio, rue François-Ier. Je me vois encore quand nous en sortons, Genet et moi. Au moment de me quitter, au coin de l'avenue Montaigne, il me dit : "Je ne sais pas où je vais aller dîner." Je me sens obligé de lui proposer de venir à la maison, tandis que défile dans ma tête tout ce que l'on raconte sur lui, qu'il ne faut jamais l'emmener chez soi, parce qu'il dérobe les Pléiade. Mais il me remercie et me dit : "Non, je connais des gens par là." »

Roger Grenier. Fidèle au poste. Gallimard, 2000, p. 115 (« L'Un et l'autre »).
Communiqué par Mme M.-F. Guérineau (Paris).
> « Malgré tous les diamants et les rubis de son fabuleux trésor, Edmond Dantès n'avait pas réussi à se faire admettre dans ce Jockey Club de l'édition. Il était condamné aux fascicules populaires et au livre de poche, tel un parent pauvre qui n'a pas droit au beau papier. Voici que le veto est levé, et que le fameux caractère Garamond, la peau de mouton de Nouvelle-Zélande, les raies horizontales du dos imprimées à chaud avec de l'or, uniforme et parure réservés aux hôtes du panthéon des gloires littéraires dûment homologuées, habille désormais l'ancien pensionnaire du château d'If. Du coup, tout le monde a pu se rendre compte que ce livre est un classique, qu'il ne dépare pas la collection, qu'il tient dignement sa place
entre Dickens et Fielding, ses voisins par ordre d'appel. »

Dominique Fernandez. Les Douze muses d'Alexandre Dumas. Grasset, 1999, p. 20-21.
Communiqué par M. Antoine Comes (Corbins, Catalogne).