La Pléaide

Apollinaire
L'actualité de la Pléiade

9 novembre 1918. La mort d’Apollinaire

14 novembre 2018

« Pour avoir dérobé le feu du ciel, l’arc-en-ciel, l’Hérésiarque vient de mourir, frappé par la grande peste européenne. Juste châtiment d’une vie qui se maintint toujours dans les royaumes défendus de la magie. »
Louis Aragon.

Dans l’atelier, semblable à une étable, un innombrable troupeau gisait éparpillé, c’étaient les tableaux endormis et le pâtre qui les gardait souriait à son ami.

Sur une étagère, des livres jaunes empilés simulaient des mottes de beurre. Et repoussant la porte mal jointe, le vent amenait là des êtres inconnus qui se plaignaient à tout petits cris, au nom de toutes les douleurs. Toutes les louves de la détresse hurlaient alors derrière la porte, prêtes à dévorer le troupeau, le pâtre et son ami, pour préparer à la même place la fondation de la Ville nouvelle. Mais dans l’atelier il y avait des joies de toutes les couleurs. Une grande fenêtre tenait tout le côté du nord et l’on ne voyait que le bleu du ciel pareil à un chant de femme. Croniamantal ôta son pardessus qui tomba par terre comme le cadavre d’un noyé et s’asseyant sur un divan, il regarda longtemps sans rien dire la nouvelle toile posée sur le chevalet. Vêtu de toile bleue et les pieds nus, le peintre regardait aussi le tableau où dans la brume glaciale deux femmes se souvenaient.

Il y avait encore dans l’atelier une chose fatale, ce grand morceau de miroir brisé, retenu au mur par des clous à crochet. C’était une insondable mer morte, verticale et au fond de laquelle une fausse vie animait ce qui n’existe pas. Ainsi, en face de l’Art, il y a son apparence, dont les hommes ne se défient point et qui les abaisse lorsque l’Art les avait élevés. Croniamantal se courba en restant assis et appuyant les avant-bras sur les genoux, il détourna les yeux de la peinture pour les porter sur une pancarte jetée à terre et sur laquelle était tracé au pinceau l’avertissement suivant :
JE SUIS CHEZ LE BISTROT
L’oiseau du Bénin.

(Le Poète assassiné, chapitre X.)

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