La Pléaide

1972

Invité personnel du président Nixon, André Malraux séjourne à Washington du 12 au 16 février. Il parle de Mao Tsé-toung, que le président des États-Unis doit rencontrer prochainement.

Le 14, lors du dîner, l'âge de Mao est évoqué. «Monsieur le Président, aurait dit Malraux, vous allez rencontrer un homme qui a eu une destinée fantastique. Vous penserez sans doute qu'il s'adresse à vous, mais en réalité il sera en train de s'adresser à la mort.»

Deux mois plus tard, le 14 avril, Malraux signe son testament à Verrières-le-Buisson, faisant de sa fille Florence sa légataire universelle.

C'est en avril aussi que paraît dans la collection «Folio» la «nouvelle édition revue et augmentée» des Antimémoires ; à l'édition de 1967 Malraux a ajouté environ soixante-dix pages, essentiellement d'ordre philosophique ; parmi ces pages, le chapitre ii de la IVe partie, qui reprend un texte publié dans La Nouvelle Revue française d'avril 1971 sous le titre « La mort n'est pas loin ».

De la fin d'avril au début de juin, la télévision française diffuse La Légende du siècle, série d'entretiens avec Françoise Verny et Claude Santelli. En septembre, alors que sa santé se dégrade, Malraux enregistre une nouvelle série d'émissions. Il donne des préfaces à des livres de José Bergamín et de Michel de Grèce. Et il devient président de l'Institut Charles-de-Gaulle.

Du 19 octobre au 16 novembre, il est hospitalisé à la Salpêtrière. Pendant son séjour à l'hôpital, il fait un épisode infectieux pleuro-pulmonaire grave. Le 1er novembre, jour de la Toussaint, il va très mal ; des centres nerveux sont atteints ; la paralysie menace. Jamais la mort n'est passée si près.

A-t-il pris des notes à l'hôpital, ou aussitôt après en être sorti ? On ne sait, mais de cette expérience va naître l'un de ses plus grands livres, qu'il choisira pour servir de conclusion au Miroir des limbes. «Puisque je travaille peut-être à ma dernière œuvre…» : Lazare est la synthèse fébrile de toute une vie, de toute une œuvre.

Malraux a imaginé plusieurs fois (et il a parfois vécu lui-même) le retour à la vie d'un homme qui vient d'être confronté à l'imminence de sa propre fin. Mais, cette fois, la mort n'est plus, comme dans Les Noyers de l'Altenburg, matérialisée par les feux croisés des canons antichars : elle attaque de l'intérieur — et cette fois encore elle est vaincue. Lazare est aussi, bien sûr, le livre de la résurrection :

«Les textes zen disent que le sentiment d'agonie qui précède l'Illumination déclenche le rire. Peu avant de perdre conscience, j'ai vu mon chat Fourrure, et entrevu dans l'obscurité le sourire du chat invisible d'Alice au pays des merveilles. À l'instant de basculer (j'avais quitté terre) j'ai senti la mort s'éloigner ; pénétré, envahi, possédé, comme par une ironie inexplicablement réconciliée, qui fixait au passage la face usée de la Mort…»

Le livre, dont la rédaction est interrompue par d'autres travaux, paraîtra le 25 octobre 1974. Peu après, Malraux recevra une lettre de son ami Jean Grosjean : «Merci de ce Lazare où pour la première fois vous livrez une part de votre aventure humaine qui ne soit pas purement aventure de l'esprit, et cela, avec l'aérienne liberté qu'y mettent souvent les mystiques. Mais vous n'avez pas pour autant quitté la force épique d'un étendard de fraternité humaine, levé d'autant plus haut que dans un combat plus intime.»