La Pléaide

1971

Hasard ou «signature» ? Entre le «Cahier de l’Herne» consacré, en mars, à René Char et le catalogue de l’exposition René Char présentée par la fondation Maeght à Saint-Paul-de-Vence d’avril à juin, ce point commun, qui saute aux yeux : la reproduction in fine d’un fragment de «Contre une maison sèche», poème à paraître en septembre, chez Gallimard, dans le recueil Le Nu perdu : «Tout ce que nous accomplirons d’essentiel à partir d’aujourd’hui, nous l’accomplirons faute de mieux. Sans contentement ni désespoir»…

Les deux publications ont bien d’autres choses en commun, par exemple l’ambition de rendre présents, aux côtés de Char, «les “alliés substantiels”, peintres, philosophes, écrivains, qui ont croisé sa route ou avec lesquels s’est engagé le dialogue et approfondi l’échange». C’est Jacques Dupin qui s’exprime ainsi dans l’avant-propos du catalogue, mais sans doute Dominique Fourcade, qui a dirigé le «Cahier de l’Herne», aurait-il pu signer ces lignes.

Au sommaire du Cahier figurent en effet de nombreux «alliés», à commencer par Saint-John Perse, qui s’est chargé du texte d’ouverture. Suivent Bataille, Blanchot, William Carlos Williams, Heidegger et d’autres. Une section «Présences» réunit des proses et des poèmes consacrés ou dédiés à Char par Éluard, Reverdy, Octavio Paz… On y a joint des fragments des Carnets de l’ami Albert Camus, parmi lesquels cette notation, plus éloquente que de longs discours : «Lorsque R. C. quitte le maquis en mai 44 pour rejoindre l’Afrique du Nord, un avion quitte les Basses-Alpes et survole la Durance dans la nuit. Et il aperçoit alors tout le long des montagnes les feux allumés par ses hommes pour le saluer une dernière fois.  Ni philosophes ni écrivains, mais garagiste, viticulteur, camionneur, négociant, les hommes de Char, ceux qui allumèrent ces feux, ont eux aussi la parole : sous la rubrique «Sur le maquis», ils soulignent «la présence si exacte, si rassurante» de leur ancien chef, le «capitaine Alexandre».

En ce qui concerne la Résistance, le catalogue de la fondation Maeght n’est pas en reste. Il signale pour les années 1939-1945 des notes manuscrites signées « Capitaine Alexandre » et une lettre du directeur général de la Sûreté nationale qui prescrit au préfet du Vaucluse la surveillance de René Char ; elle est datée du 30 novembre 1940.

Sont également exposés à Saint-Paul-de-Vence, sous l’intitulé «La conversation souveraine», des manuscrits ou des éditions originales d’écrivains dont la plupart ont déjà trouvé place au sommaire du «Cahier de l’Herne». Mais ce sont naturellement les artistes qui sont ici les plus nombreux : Picasso, Magritte, Kandinsky, Max Ernst, Matisse, Miró pour Salut à René Char, Nicolas de Staël pour les bois gravés des Poèmes de 1952, Georges Braque pour Lettera amorosa, et encore Wifredo Lam, Giacometti, Zao Wou-Ki… Tous permettent de vérifier ce qu’écrit Jacques Dupin : «la poésie a besoin pour être et nous parvenir d’emprunter une apparence matérielle et sensible, d’accepter un support et des relais. […] Elle s’offre à tous, et d’abord à la soif du peintre avide d’éprouver son langage sans paroles en le confrontant à la parole nominative du poète.»

S’il fallait signaler une absence – commune au Cahier et au catalogue Maeght –, ce serait, au fond, celle de Char lui-même. Il y a bien le fragment de «Contre une maison sèche» mentionné plus haut. Mais pas d’autre inédit, pas de lettre, pas de témoignage du poète ni d’entretien avec lui. Peut-être cet effacement était-il concerté. Pour Jacques Dupin en tout cas, il est explicable : «Nous avons […] négligé l’oscillation de l’auteur derrière son œuvre, pour la raison qu’il est vivant, c’est-à-dire sur d’autres chemins, loin de la maison édifiée, en marche, et occupé à de nouveaux préparatifs.» À consulter la liste des œuvres postérieures à 1971, on s’avise que ces préparatifs furent féconds : les hommages s’accumulent, mais Char, c’est incontestable, est toujours en marche.