La Pléaide

1938

Au début de 1936, Sartre, qui travaille depuis plus de quatre ans à ce qu’il appelle son « factum sur la contingence », considère le livre comme achevé. Paul Nizan va tâcher de le faire publier chez son propre éditeur, Gallimard. Au printemps, le manuscrit, désormais intitulé Melancholia en référence à la gravure de Dürer, est remis à Pierre Seeligmann, collaborateur de la maison. Quand il est refusé, Sartre accuse le coup : « Je m’étais mis tout entier dans ce livre ; en le refusant, c’est moi-même qu’on refusait, mon expérience qu’on excluait. »

Mais il revient à la charge. À l’automne, il présente à nouveau son texte, qui bénéficie cette fois d’une double recommandation : celle de Charles Dullin, ami de Gaston Gallimard, et celle du romancier Pierre Bost. Et en avril 1937 la situation se débloque enfin. Sartre est reçu par un « type » « vêtu de clair, un peu gros, et [qui lui] fait l’impression d’être brésilien ». Mais ce n’est pas un Brésilien, c’est Jean Paulhan, qui lui demande entre autres choses s’il connaît Kafka : « Malgré les différences, je ne vois que Kafka à qui je puisse comparer cela [Melancholia] dans la littérature moderne. » Seulement, ajoute Paulhan, Brice Parain, qui est chargé du manuscrit, n’est pas entièrement de cet avis. « J’étais emmerdé comme un rat », raconte Sartre. Paulhan le traîne chez Parain, lequel juge, en effet, que le roman n’est pas exempt de longueurs (il n’a d’ailleurs pas fini de le lire !) : il faudrait retravailler.

Et Sartre retravaille. Il taille, coupe, resserre et, sur les conseils de l’avocat de Gallimard, retranche des passages érotiques. Puis c’est le titre qui est sur la sellette. Il ne plaît pas, malgré Dürer. L’auteur a une idée : Les Aventures extraordinaires d’Antoine Roquentin, mais sur la bande publicitaire on indiquerait : « Il n’y a pas d’aventures »… De quoi faire fuir les lecteurs, répond Parain. La solution vient d’en haut, en octobre. Gaston Gallimard propose La Nausée. Simone de Beauvoir est réticente (après un roman d’aventures sans aventures, ne croira-t-on pas à un roman naturaliste ?), mais va pour La Nausée. Le livre est achevé d’imprimer le 5 avril 1938. Il emprunte à L’Église de Céline sa célèbre épigraphe : « C’est un garçon sans importance collective, c’est tout juste un individu. »

« Il sera coupable d’ignorer La Nausée », prédit Armand Petitjean dans Vendredi dès le 6 mai. Dans Ce soir, le 16, l’ami Nizan parle à son tour de Kafka, un « Kafka français ». André Rousseaux, le premier, pose une question promise à un bel avenir : « Peut-on faire un bon romancier avec un philosophe ? » (Le Figaro, 28 mai.) Et Edmond Jaloux lui répond par l’affirmative dans Les Nouvelles littéraires du 18 juin. Sartre saura gré à Jaloux d’avoir « présenté comme une expérience phénoménologique, une fiction qui permet d’atteindre l’essence ».

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