La Pléaide

1908

Le 19 mars, à la Chambre. La parole est à M. Maurice Barrès, député de la Seine: «Messieurs, on nous demande 35 000 francs pour porter Zola au Panthéon. Je crois que nous n’aurons jamais une meilleure occasion de faire des économies.» Et l’auteur d’Un homme libre d’annoncer qu’il ne parlera pas de l’Affaire Dreyfus, mais s’intéressera à Zola, à ses œuvres et à ses mérites. Une discussion littéraire chez les députés? Ce sont des choses qui arrivaient.

Il n’empêche: l’Affaire et «J’accuse» sont présents dans les débats. C’est d’ailleurs au lendemain de la réhabilitation de Dreyfus, en juillet 1906, qu’avait été déposé le projet de loi visant à transférer au Panthéon les cendres de Zola. Pour Barrès, l’auteur de «J’accuse» fut en l’occurrence un opportuniste: «Il disait: “Je vois la voiture, j’y monte!”» Le placer au Panthéon auprès de Hugo, «grandiose expression de l’idéalisme français», serait inconvenant.

Jaurès n’est pas de cet avis: «La gloire de Zola, son honneur, c’est de n’avoir pas conçu l’art à la façon de M. Barrès, comme une sorte d’étang mélancolique et trouble, mais comme un grand fleuve qui emporte avec lui tous les mélanges de la vie, toutes les audaces de la réalité.» Bref, on vote les crédits. La cérémonie aura lieu le 4 juin. Alfred Dreyfus y assistera.

Le jour dit, en présence du président Fallières, l’orchestre et les chœurs du Conservatoire interprètent La Marseillaise, le Prélude de Messidor (drame lyrique d’Alfred Bruneau sur un poème de Zola), et la Marche funèbre de la Symphonie héroïque. Le ministre de l’Instruction publique, Gaston Doumergue, rappelle l’action de Zola en faveur de Dreyfus. Mais la cérémonie ne fait pas l’unanimité. La famille du maréchal Lannes a menacé de dépanthéoniser son grand homme pour qu’il ne cohabite pas avec le nouveau locataire. Et des antidreyfusards manifestent tout près de là. Après Le Chant du départ, alors que le défilé militaire va commencer, deux coups de feu éclatent: on a tiré sur Dreyfus! Il est légèrement blessé au bras. Le tireur est arrêté, il se nomme Louis Grégori, c’est un journaliste spécialiste des questions militaires. Il déclare avoir agi dans l’intérêt de la République.

L’Assiette au beurre, revue satirique, consacre à la journée un numéro riche d’enseignements. L’un des dessins croque un officier de police qui salue le catafalque en grognant: «N’empêche que si j’avais tenu ce gaillard-là en 1897 [date à laquelle Zola s’implique dans l’Affaire Dreyfus], il aurait passé un mauvais quart d’heure»; un autre évoque «le coup de pied de Lannes»; un autre encore déplore l’absence d’Esterhazy, «qui représentait si bien l’honneur de l’armée»; et un Dreyfus au nez crochu ronchonne à l’écart: «J’ai bien le droit d’assister à la cérémonie, puisque j’ai donné cent francs pour l’érection de son monument»…

Quant à Grégori, il sera jugé, et acquitté.